Le gecko au pied du mur

Publié le par Monique MERABET

Le gecko au pied du mur

LE GECKO AU PIED DU MUR

(Liberté pour Manapany !)

 

I

 

La maison voisine en paix avec la mer depuis longtemps. Elles se connaissent, se parlent, s’inquiètent surtout. Sinistres échos dans la quiétude de Manapany : il est un virus et l’Histoire qui bégaie – « des évacuations en train vers l’Allemagne » ? Mais aussi, murs dressés pour boucher d’habituels accès ? Arbres vénérables coupés pour faire place nette ? Projets immobiliers et touristiques inavoués ?

Sur la terrasse d’où j’entends la conversation de l’eau et de la case, un lézard vert a grimpé sur ma cheville, s’y est immobilisé comme le tatouage margouillat que l’on aime à mettre un peu partout ici, signe distinctif d’une identité mal assurée, si étouffée. Je n’ai plus bougé moi non plus, me disant qu’il me faisait bien confiance, le gecko, espèce protégée qui allait souffrir de nos inconséquences, de notre avidité, dont on allait sacrifier la demeure. Mais c’était un petit, un enfant – sans doute ne savait-il pas encore qu’il ne faut pas croire en l’humain. Enfin, qu’il fallait se méfier, parce que ce « naturel » logé on ne sait où, il pouvait revenir, grand galop, au moment où son porteur lui-même ne s’y attendait pas !

Je m’arc-boute sur ce que nous avons de bon sens, logé dans ce « naturel » aussi – respect fondamental de la nature, nout kaz, sat i done anou manzé, foutor ! I’font quoi là, ces dominants, souvent mâles, à vouloir saccager un « ti-coin charmant », berceau de chauve-souris et de rires d’enfants s’ébrouant dans le bassin rassurant ? Sé zot ki fo anbaré, défann azot bril péi-la ! Oui, ils vont finir par tout brûler, un art de vivre et de se projeter, une originalité, promesses d’un monde autre, peut-être meilleur… Ils jouent avec le feu, ces décideurs qui décident en dépit de toute logique démocratique, reprenant à leur compte recettes antiques appliquées à des masses juste bonnes à servir leurs intérêts. Qui laissent bâillonner le jeune fonnkézèr, parole sacrée du poète, sacrifiée sur de tristes autels.

Déjà, s’embrase à nouveau le Maïdo, autre merveille saccagée. Accident ou pyromanie une fois encore ? Il n’est pas bon de pousser les gens à bout, il n’est pas bon de leur donner de sombres envies, de celles qui font se joindre geste ravageur et parole langue de bois… J’ai regardé le gecko sur ma cheville, l’ai remercié de la confiance qu’il me faisait, lui ai dit que je n’avais que des mots pour tenter de l’aider, lui, les arbres de sa vie et de la nôtre. Je lui ai demandé pardon aussi.

 

Monique Séverin, novembre 2020

 

II

 

Le mur haut, haut, haut

gecko de Manapany

te verra-t-on derrière ?

 

Une chose est sûre : personne n’a songé à lui demander son avis à la mascotte endémique, pourtant seul habitant autochtone du petit coin charmant, Manapany qui « porte un nom malgache voulant dire chauve-souris ».

Explication toponymique du poète Albany… En réalité, pour nos mémoires créoles, Manapany rime avec beauté et sérénité, mer et nature… Faut-il écrire « rimaient » ?

De ma lointaine enfance, cette anse du bout du bout du monde — depuis les Hauts de Saint-Leu, il fallait suivre les méandres d’une route à travers champs — était lieu de « parties » zanbrokal, rougail saucisses, pliants et saisies…

 

L’air du large

sur le chemin qui descend

l’éblouissement

 

C’était avant le mur, bien sûr.

 

Manapany et ce refrain de Jean Ferrat affleure ma mémoire :

 

« Tu peux m’ouvrir cent fois les bras

C’est toujours la première fois »

 

À chaque nouvelle visite, l’enchantement de la redécouverte, le même coup au cœur et la conviction que c’est là qu’il faut vivre.

Là, les oreilles remplies du battement des vagues.

Là, assise sur une roche piquée, peut-être un antique corail devenu fleur de terre, les pieds ballant au gré de la dentelle d’écume que l’océan rebrode sans cesse, les pensées vaguant vers la sirène que la conteuse nous fait découvrir entre deux vagues : invitation pérenne à communier avec lui, à lui confier son âme pour un voyage qui durera l’éternité.

 

Manapany : il est des lieux mythiques/mystiques où le sacré se révèle… lieux préservés où l’on peut méditer, lieux d’infini et de liberté. Lieux où l’on se sent revenu chez soi. Rann anou nout péi la !

Lieu de poésie, comme en témoignent ces frais poèmes d’enfants écrivant leurs premiers haïkus, lors d’un atelier organisé au Salon Arts Nature installé dans la maison communale et ses jardins… aujourd’hui interdits ;

 

Le caillou blanc

se reflétant dans la mer

je le vois bleu                           (Alice)

 

La mer danse

les cailloux et les poissons

dansent avec elle                      (Élisa)

 

La mer qu’on voit danser… Ah ! Laissez-nous la regarder encore ! Laissez-nous la respirer ! Manapany, patrimoine de l’âme réunionnaise.

 

(Monique Merabet, novembre 2020)

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P
Merci pour le partage :) au plaisir de vous voir ;)
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