Souvenirs épars
SOUVENIRS ÉPARS
Aloé 3
Pleurs de joie
ces gouttes qui s’écrasent
sur l’ocre d’un désert !
Joie d’un chemin de renaissance.
Au loin, vasque verte des montagnes d’Aloé
Roses du balcon
avant grankèr solèy
découvrir traces de pluie
2 décembre, jour anniversaire. Austerlitz 1805 ? Non, peut m’importe la bataille, stratégie étudiée au lycée !
2 décembre 1885 : naissance de ma grand-mère. Aglaé.
Ce prénom porté par l’une des Grâces aurait dû m’être attribué, moi, la fille aînée. Mais ma mère ne l’a pas choisi, sans doute parce que trop étrange, trop désuet déjà…
Mon arrière-grand-mère non plus, ne l’a pas choisi. Autrefois à Ravine Sèche, village de petits blancs (ceux qui n’ont pas hérité des terres), on vivait sous la loi du clan, de la tribu. Le doyen de la famille, l’ancien, distribuait les prénoms avant même la naissance de l’enfant. Avec des ratés parfois :
Le prénom prévu pour ma mère était masculin, il y avait déjà une fille née dans la famille et il était impensable que n’arrive pas enfin, un garçon ! On l’a changé in extrémis à l’état-civil et Maman s’est appelée du prénom hybride d’Élienne.
Il y a eu aussi ce « Léonidasse » dont on voulait affubler la sœur de ma mère : prénom refusé par le curé et changé en un plus esthétique « Constance ».
Prénoms issus d’un catalogue secret, transmis de génération en génération. Inspirés de la Bible ou de la mythologie, ou de l’histoire… cela ne faisait aucune différence pour la population illettrée.
Peut-être y avait-il quand même quelques cahiers généalogiques serrés dans les armoires : pages jaunies, écornées, ajourées par les carias… je les imagine, couverture renforcée d’une enveloppe kaki grossièrement cousue.
Y a-t-il eu des petits Austerlitz sous le ciel réunionnais ? Sans doute pas, le vocable trop difficile à prononcer par les lèvres créoles. Déjà, ces prénoms usuels écorchés… comme par cette dame qui brodait une initiale aux mouchoirs de ses enfants. Elle utilisait toujours la lettre A : « toute la bande i commence par A : Ar-nest, Ar-oul, Ar-chel… na rienk couillon tit Gustin i commence pas par A … »
A comme Aglaé. Cette grand-mère mutique portant habits de deuil depuis 1916, son mari, mon grand-père Léonel, « tué à l’ennemi » près de Salonique. Les deux ou trois choses que je sais d’eux, je les ai consignées dans « Souvenirs épars de ma mère », paru chez Les Impliqués (collection de l’Harmattan) en 2019.
(2 décembre 2020)