Le tout infini
LE TOUT INFINI
Belles de nuit
un infini se referme
avec leurs corolles
une parenthèse rose
a duré jusqu’à l’aurore
Parenthèse entre deux inconnus, notre existence fait d’une infinité d’instants, secondes et toutes ses divisions.
À l’instar des intervalles mathématiques — qu’ils soient ouverts ou fermés — qui ont des propriétés affolantes : entre deux fractions, on peut toujours glisser une autre fraction, et partant, une infinité d’autres fractions. Q, l’ensemble des rationnels…
Bien des potaches sont passés à côté de cette singulière fabrication de nombres, notre conception « naturelle » d’infini, tournée vers l’extérieur.
Et encore, ne parle-t-on pas de ces électrons libres — les trous de Q comme a essayé de me faire dire un lycéen espiègle — nombres irrationnels ou transcendants. Nombres réels schématisés par une droite. Il y a de quoi s’émerveiller de cette infinité intérieure de points ; chaque point concret marqué au crayon, n’est lui-même qu’une nébuleuse de points virtuels.
Quant à les compter… « autant » de nombres représentés sur la droite réelle que de nombres figurant sur un segment aussi « petit » soit-il. L’infini n’est pas mesurable, il n’est comparable qu’à lui-même. Vertige de la pensée !
Place alors aux poètes ! Eux seuls savent le circonscrire de mots, le laisser s’échapper d’un blanc de haïku.
Notion d’infini dont j’ai pris conscience grâce à ce frère mathématicien qui m’amusait et me troublait avec sa notion de partage infini. En voici la transcription poétique (extrait de Mathifolades, éditions L’iroli, 2006)
Trente-six souris affamées
lorgnaient un gâteau alléchant,
se trouvant fort embarrassées
de le fractionner équitablement.
deux rats musqués, chevaliers d’industrie,
associés en friponnerie
se présentèrent : clercs de justice !
et offrirent leurs bons offices.
laissez nous faire, dit le plus gros.
Je prends la moitié du gâteau ;
et mon frère, subséquemment,
aura la moitié du restant.
Ensuite, toute la compagnie
de même sorte, sera servie,
chacun recevant le demi de ce qui demeure indivis.
On peut poursuivre à l’infini…
N’est-ce pas là, partage équitable ?
conclut cette âme charitable.
Tout citoyen se voit propriétaire
d’une égale quotité fractionnaire :
une moitié… peu importe les proportions
se gaussèrent, in petto, les fripons.
On voit qu’ainsi, sur notre planète,
les richesses se distribuent :
à quelques nantis, escarcelle replète,
à foule de miséreux, la portion congrue.