Suite pour lombric littéraire
SUITE POUR LOMBRIC LITTÉRAIRE
Terre remuée
quelle graine magique
ramèneras-tu lombric ?
Aujourd’hui, quoi que je pense, que j’écrive, l’ami lombric s’accroche à ma plume (au figuré s’entend ! Pouah !).
Holà ! N’as-tu rien écrit sur moi que cette fable mathématique où tu me forces à embrasser une fourmi… Pouah ?
Euh… cher petit ver de terre familier, il me revient ce passage du conte des deux flamboyants (Lambrequins et vieux bardeaux, ARS Terres créoles, 2001).
deux arbres poussés côte à côte et qui finissent par se disputer, se détester parce qu’ils n’ont pas la même couleur de fleurs.
« Les vers de terre qui pullulaient en ce lieu eurent vent de ce qui se passait au royaume d’En-Haut et, en scientifiques avertis, se chargèrent d’expliquer objectivement à Rouge et à Orange l’origine de leurs dissemblances. Avec minutie, ils observèrent, disséquèrent, analysèrent les pétales, les étamines, les feuilles et même l’écorce des deux végétaux. Ils avancèrent alors l’idée que, pour obtenir un tel carmin, les racines de Rouge plongeaient certainement jusqu’au pays de Volcanie où les pierres de feu donnaient à la terre sa coloration sombre. Avec la même logique, ils laissèrent entendre que la lumière d’Orange venait d’Amérie, un terroir où la terre est fine et légère, d’une blondeur extraordinaire.
[…]
Les vers, eux, indifférents aux troubles qu’ils avaient pu causer, décidèrent, en bons empiristes qu’ils étaient, de vérifier leurs hypothèses.
Ils s’organisèrent de sorte qu’aucun bout de racine ne put leur échapper, balisèrent les tracés respectifs rouges et orangés ; ils décidèrent de descendre le cours de la moindre radicelle pour découvrir de quel terreau chaque arbre tirait sa sève.
Le nombre impressionnant de collaborateurs que nécessitait l’opération ne constitua pas un obstacle à leur détermination : depuis toujours, les vers avaient recours à de faciles clonages en se scindant en morceaux.
Des années et des années furent nécessaires pour mener à bien leur prospective pérégrination tant les foisonnantes ramifications radiculaires s’ancraient au plus profond du sol.
À leur stupéfaction, ils se rendirent compte que, loin d’opter une fois pour toutes pour une orientation privilégiée, les racines des deux espèces se croisaient, faisaient des boucles, parfois même cheminaient, solidairement accolées.
Il fallut se rendre à l’évidence : dans les veines des deux flamboyants se mêlaient sans contrainte le sang de Volcanie et le sang d’Amérie.
Les vers étaient des savants foncièrement honnêtes. Le temps de rédiger de brillantes thèses et de publier de volumineux mémoires, ils remontèrent à la surface et allèrent aussitôt apporter la bonne nouvelle aux deux frères ennemis. »
Et voilà ! Cher petit ver de terre familier, j’espère que le rôle que je vous fais jouer dans le conte, semeurs de paix, te réjouira.