Maman, y a un cyclone derrière la porte
MAMAN, Y A UN CYCLONE DERRIÈRE LA PORTE…
Les feuilles s’agitent
sans changer de position
alerte rouge
Commencer pour de bon ce journal de février. L’amie me l’a souhaité « doux »… comme le haïbun de miel que je vais écrire pour elle.
Mais comment s’éclaircir les idées, leur créer échappée belle lorsque l’on écrit, confinée, volets fermés. Nous sommes en alerte rouge et Batsiraï le cyclone tarde à s’éloigner. Le météore a choisi de camper sur sa position « au plus près de l’île » tout au nord, de flâner à vitesse d’escargot : 6 km/h, l’allure d’un bon marcheur, vous vous rendez compte ?
Koudvan quand t’en iras-tu ?
Au cœur de la nuit cyclone, le vent roule je ne sais trop quoi — assurément sombres nuages, opaques maléfices —, le vent se défoule… contre qui, contre quoi ? Le vent déroule des martinets de pluie cinglant les murs et les toits ; sa musique cliquetante, houle déferlante, ressasse nos effrois : un volet qui bat, une tôle qui s’envole… les mangues tombées, qui ira les ramasser ?
Batsiraï emplit mon horizon de bruit et de fureur, s’étale sur les écrans, message d’EDF Réunion, Ville de Saint-Paul… et même un joli rébus à son nom : batte-scie-rail.
À la radio, s’égrènent les souvenirs fantômes d’anciens cyclones, Dina, Firinga, Gamède ou Jenny, danse d’épouvante annonçant le spectre suprême : Siklone 48, mounoir, sa lété malèr. L’année 1948 : rengaine des parents, des grands-parents, ceux de ma génération. Ceux qui sont nés après, qu’en savent-ils encore ? Que représentent pour nous ces événements qui n’ont pas touchés concrètement quelqu’un que nous avons connu. Une page d’histoire. La souvenance se ternit dès qu’il n’y a plus de témoignage direct.
Mais j’ai sûrement trop longtemps chéri ces pays d’enfance jaunie. Il convient de tourner la page, de laisser s’effriter un pan de cette mémoire que l’on croyait collective. Les jeunes d’aujourd’hui se forgeront la leur.
À noter aussi le changement s’opérant dans le langage. Personne ne parle plus de koudvan ni même de cyclone. En témoigne cette (jeune ?) animatrice radio qui interroge une « fidèle auditrice ». Elle s’exprime tout d’abord en créole : « Di anou kosa ou panse… ce — je sens le passage au français, l’hésitation de qui cherche le terme adéquat — météore ?
Nouvel accroc au champ lexical du créole réunionnais, l’utilisation quasi automatique du terme français, reléguant aux oubliettes le parler du temps longtemps.
Le préfet lui-même se met à la mode du jargon « bien-être » et dans son allocution, félicite les Réunionnais pour leur Résilience (sic).
(3 février 2022)
19 février 2022… Alors que je finis juste de mettre la touche finale à mon article pour le blog, un autre cyclone se rapproche : Emnémati. Presque le même scénario que pour Batsiraï. On attend alors que le ciel s’est assombri et que le vent siffle ses bourrasques de plus en plus violentes, de plus en plus rapprochées.
Février
les cyclones passent
je demeure