L'après-midi dans les feuillages
L’APRÈS-MIDI DANS LES FEUILLAGES
Rameaux agités
les imaginer nus
et toujours beaux
Farine de pluie matinale. Le gris d’un sillage n’a pas résisté longtemps à l’invasion des bleus du ciel de mai.
Le ciel ne nous laisse jamais nous morfondre. Il a toujours quelque divertissement à offrir.
Fin d’après-midi. Je m’apprêtais à la vivre maussade, nostalgie du jour qui finit, de journée ratée avec le sentiment de n’avoir rien fait (de remarquable ?), que rien n’avance.
Le temps a mis ses habits de morosité : vent et bruine. Moment d’à quoi bon, à mesurer l’incompréhension de ceux qui vivent de l’autre côté de nos soucis. Ceux à qui l’on sourit, à qui on répond : « Ça va… Ça va ! »
Le vent agite un bouquet de feuilles du manguier. Je l’observe derrière mon rideau. Je songe à un envol de sauterelles qui auraient toutes un élastique à la patte — quelle patte ? demande Main Gauche, censeur littéraire… et je ne sais même plus combien de pattes a la bestiole ? — marionnettes animées d’un mouvement d’ensemble, l’amplitude dépendant de la force des bourrasques.
Envie de chercher la dissidente, celle qui irait à contresens, à contretemps.
Me résigner à ce que cela n’arrive pas. Et j’avise les graminées des potées — je les ai laissées pour les oiseaux… « Les oiseaux ont bon dos » — qui s’inclinent à hue et à dia, je ne sais pourquoi.
Sous le vent
cette herbe qui vibre
et l’autre pas
Dans l’arbre à pain, kayanm des gouttes qui ricochent sur les larges limbes : grondement d’océan qui se déchaîne, parfois, ou douceur d’un ressac.
Maintenant les striures grisées de la pluie ont envahi tout l’espace.
Un oiseau
lance un cri furtif
qui s’inquiète ?
Flaques de ciel bleu. Et j’imagine rameaux madrépores, corail bouturant et feuilles poissons. Vivier pour oiseaux-lunettes. Viendront-ils ce soir, à l’heure du muezzin ?
Moi qui me plaignais de la monotonie de cet après-midi. Quand même ça le temps l’a passé*…
Tourner les pages.
Soir qui tombe
je suis un nuage blanc
vers sa coloration
Dans les ors ? Dans les roses ? Dans les gris ? Quel temps pour demain ?
Le temps de prendre mon stylo à encre violette — j’ai connu aussi les mauves du couchant au ciel provençal — voilà qu’une baleine grise vient occulter tout son éclat.
Crépuscule en cours
à la ligne des montagnes
liseré de lumière
(6 mai 2022)
*extrait de « Tite fleur fanée » (Georges Fourcade)