Paysages impromptus
PAYSAGES IMPROMPTUS
Té ! Néna ki di : Grand-mère disait :
« Asiz pa sou in piémang « Ne va pas sous le manguier
apré sizèr lo soir » à six heures passées »
moin la pèr mi di aou Ah ! Cette peur atavique
bann piéboi i vèy anou que les arbres nous surveillent…
Au jardin, la nuit paraît plus obscure lorsque les réverbères font défaut. La maison s’enveloppe alors de ténèbres de noirceur. Même volets fermés, on ressent la différence. Sans doute que la lumière trouve toujours une mince fente par laquelle s’insinuer en misouk.
J’ai aussi noté qu’en saison fraîche (hiver austral), le fénoir est encore plus noir. Mais nul argument scientifique ne vient étayer cette allégation. Peut-être est-ce parce que la nuit tombe plus vite, que nous nous accommodons plus vite au noir et que nous nous en lassons plus vite aussi. Et dans la pénombre se glissent les fantômes.
Au tronc écailleux Lo tron la kroute boubou
un visage se dessine souvan défoi in figur
fil du temps qui passe lo tan la brodé
et cisèle silhouettes sa lo portré bann zansète
fantômes de mes aïeux i guète an misouk dann fénoir
Monde d’un jardin à explorer. Toujours foisonnant de surprises. Paysages de troncs, mine de rien.
D’autres paysages plus ou moins imaginaires nous apparaissent : ceux que les embruns et poussières gravent sur les vitres ; ceux d’un coin de trottoir fendillé qu’un enfant conquiert chevauchant un parapluie-destrier ; ceux qui se concrétisent sur la peau et qu’un insecte vient explorer, coccinelle, punaise verte, mouche des fruits… posant pour un selfie.
Battement d’élytres
sur ma peau fripée
combien d’îles ?
(9 juin 2022)