Fugue d'écriture

FUGUE D’ÉCRITURE

Temps à la pluie

Un pâle rayon met ombres

Sur mon cahier

Temps humide. Armée de nuages en uniforme gris. Une percée — pourtant éblouissante — du soleil est vite ravaudé et l’astre continue sa course arcadienne, incognito, brouillant notre perception du temps qui passe. Pour vivre heureux… ?

L’air et l’eau se marient ; un monde de gouttes colonisent les feuilles, les fils électriques, les ferrures du volcan… chaque bulle attendant la lumière pour scintiller. Pas plus de consistance que mes mots qui coulent, roulent, anodins et légers.

J’ai envie de laisser filer l’écriture, sans coordination, sans cohésion, peut-être… Mais les mots qui se laissent glisser sur le papier ont leur propre cohérence venue de l’inconscient, du subconscient…

Samedi sur fils

Les oiseaux revenus

Pour m’inspirer ?

Les mots disent ce qui est présent, là, maintenant, le soleil et la pluie, les oiseaux. Et la fourmi scriptophile qui trotte en son champ d’herbes bleues. Holà ! Quel goût a mon encre ?

Ils disent l’impression fugitive qu’on n’arrive pas toujours à formuler nettement, qui ne se « conçoit » pas.

Ah ! Voilà qui égratigne les certitudes de Maître Boileau :

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement

Et les mots pour le dire arrivent aisément… »

Fluidité d’air et d’eau que l’on ne saurait saisir, sinon cette légère pondération de l’air quand s’instille un peu de lumière ou ce bruit ténu quand la pluie se met à fariner. Ce quelque chose qui manque, qui fuit.

Au hasard des tweets, cette pensée d’Anne Dufourmantelle :

« Observez le motif de la fugue de Bach. Ce qui revient est obsédant, car cela fait sans cesse apparaître ce qui n’a pas été, ce qui n’a pas eu lieu. C’est bien cela qui se répète : ce qui ne s’est pas produit. »

Et s’il existait un lieu (onirique ou mental) de lumières et d’ombres où nous serions amenés à suivre des chemins que nous n’avons pas choisis, des possibles que nous n’avons pas retenus, des vœux pieux, des ratés, des « je n’ai pas voulu… pas osé » ?

C’est sans doute en de tels endroits que puise l’écrivain pour bâtir une fiction… ou une fugue d’écriture.

(24 juin 2023)