Sur le pont d'Avignon
SUR LE PONT D’AVIGNON
Vu de l’autre rive
Lumière d’après-midi
Sur Pont d’Avignon
L’écrin des remparts sertissant la Cité des Papes a quelque chose de fantastique quand on le contemple, assise au bord du Rhône. Enfin, d’un des bras du Rhône… J’ai fini par avoir une idée de la complexité du réseau fluvial à cet endroit, du cours coupé par l’île de Barthelasse, la plus grande d’un archipel d’îlots.
Je découvre la configuration du fleuve depuis Villeneuve-Lès-Avignon. De ce côté-ci, nous sommes dans le Gard, de l’autre côté, le Vaucluse. En passant le pont on change de ville, de département, de région. Et moi qui ai « sauté » la mer pour arriver là !
Avignon, ville d’exception ! Vue intra-muros, sans une barre d’immeubles, sans une tour qui dépasse. La ville éternelle, patrimoine de l’UNESCO, s’assoupit en ses ruelles pavées. Regardant par-dessus le mur, l’étendue des tuiles vernissées, la jeune fille s’exclame : « Les toits sont tous pareils ! »
Je m’émerveille — comment ne pas s’émerveiller ! — des beautés qu’a pu créer l’humain.
Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre !
Alentour, cyprès, oliviers, bastides provençales sont superbes mais ces pierres blondes, assemblées depuis des siècles, ne blessent pas la nature. Lorsque leurs tons ocre s’irisent au soleil couchant, elles s’y harmonisent.
Je me laisse bercer de clapotis et d’illumination. Les voitures qui circulent sur l’autre rive semblent irréelles ; elles sont trop éloignées pour troubler l’instant d’une discordance.
Soudain, cet angélus carillonné ! Leur tintement m’arrive comme une nuée d’abeilles dansant dans la lumière dorée, comme un semis de fleurs, cristallisant l’heure-bulle. Souvenir des faneuses de fleurs, lançant leurs pétales au passage du Saint Sacrement, procession de Fête-Dieu d’autrefois. Aujourd’hui, je n’entends même plus les cloches aux églises de Saint-Denis.
J’aime cette heure sacrée où la colère du monde s’apaise. N’est-ce pas en ces moments d’élévation que les anges tissent les rêves des enfants… et de tous ceux qui y croient encore.
Et cela se passe, ici, près d’Avignon, dans la gloire d’un soleil d’été, peu pressé de se coucher.
Tant de spiritualité reste enclose en cette ville préservée malgré l’Histoire faite de fureur et de sang.
Plénitude d’être là, ce soir. Contemplation. Elle redevient si proche, si vraie, la foi dans laquelle je baignais, enfant.
La nuit dernière, pourtant, j’ai rêvé de bouteilles, de fioles, brisées alors que je voulais aider au ménage. Songe d’adulte craintive qui ne saurait déranger l’enchantement.
Je voudrais comprendre la topologie des lieux, de ce fleuve si vaste que je peine à l’imaginer, vu d’en-haut dans son réseau tout entier déployé. Une visite à La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, m’y aidera. En ce Haut lieu où souffle encore l’Esprit, dans le recueillement des cloîtres, j’ai pu voir un documentaire sur… Le Pont d’Avignon, cet édifice que Benezet eut pour mission de construire en 1200. Grâce à une projection numérisée réalisée à partir des archives mentionnant le pont, on a pu reconstituer son tracé initial, déroulant un chemin d’arches serpentant d’île en île. C’est qu’il y a beaucoup de bras à franchir entre la Tour Philippe Le Bel (à Villeneuve) et la porte d’Avignon.
Découvrir ce que fut le passé en utilisant l’Intelligence Artificielle, me réconcilie un peu avec ces technologies du futur que mon esprit ancien a du mal à appréhender.
Voyage en Avignon. Et je n’ai même pas visité le Palais des Papes : trop de monde, peu de temps et l’intérêt des jeunes visiteuses tourné vers ce fragment de pont qui nous reste.
Je m’en suis approchée et je ne ressens aucune frustration ni la nécessité de compléter ma visite dans l’immédiat.
Je suis touriste d’âme et je me sens comblée de m’être immergée dans le passé, dans l’Histoire, et peut-être dans cette part d’absolu qui nous dépasse. Je ne suis jamais en manque de ce que je n’ai pas vu mais plutôt en plénitude des richesses que j’ai pu côtoyer.
Mon âme lente sait qu’on ne peut prétendre tout connaître, tout assimiler. La connaissance s’installe petit à petit, en profondeur ; elle ne peut se contenter d’une accumulation vorace… comme si on voulait goûter en une fois à tous les mets proposés dans un restaurant.
On n’achète pas Avignon, pas plus qu’on ne la possède, qu’on « se la fait » à la manière des voyageurs boulimiques en superficialité.
J’en suis restée à la méthode contemplative. Ma mémoire s’est fortement imprégnée de détails apparemment disparates : pierres, cyprès, bouleaux vénérables de la promenade, eaux calmes du fleuve, pénombre d’une église, autant de touches d’exotisme pour celle qui vit en île-close, microcosme ignorant l’infini.
Souvenirs de mille ans. Mille, non seulement pour répondre au poète « j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans », mais aussi pour leur conférer longévité comme on accorde valeur et saveur aux œufs de cent ans chinois.
Avignon, ville de haute spiritualité.
Et pourtant, ce que j’ai retenu et chanté de ma balade avignonnaise, tient en ce poème baroque inscrit en mes carnets de vacances de cet été hexagonal 2023.
Samedi, 2 septembre 2023,
Sur le Pont d’Avignon : vidéo
de deux jeunes filles qui dansent.
Depuis La Réunion, elles en avaient rêvé.
Les touristes passent, sans remarquer…
Tant de spontanéité ! Chanter, danser
Sur les pavés de la ville des Papes.
Qu’il fait chaud sous le soleil aveuglant !
Nous battons places et ruelles que hantent
un bout de muraille, un bout de palais, une église qui domine.
Comme une histoire qui tourne en boucle :
Sur le Pont d’Avignon, on y danse tout en rond.
Déjeuner sous les parasols ;
un insecte jaune et noir… petit frelon ?
gravite autour de ma salade niçoise.
Les filles rieuses l’ont baptisé « Monicus »
Emprisonné sous le verre retourné.
— Oh ! J’ai mis du coca dans le cendrier ! —
— Il y a de l’air qui pénètre, j’espère,
dis-je, craignant de le voir étouffé.
— Comment, disent les insoucieuses, tu te soucies
de la mouche qui a emporté le thon de ton repas ?
À me relire, je trouve cocasse
Que cet humble insecte ait marqué
La visite plus qu’un papal palace !
Bienvenue aux simples beautés !
Et s’il ne me restait d’Avignon que le passage de cet insecte guignant mon repas ? Ce ne serait pas si mal…
En fait j’ai eu des nouvelles de la mouche mangeuse de thon en boîte (thoniboitivore ?)
Du 30 septembre, message de Lila, l’étudiante en biologie de Montpellier :
J’ai pensé à toi parce que, en cours, on a vu le cas de certaines mouches qui font exprès d’imiter les guêpes pour éviter d’être attaquées. Et c’est comme ça que j’ai appris que la Moniquus était en fait une syrphe, un type de mouche qui imite les rayures des guêpes (parce que en France, les guêpes sont jaune et noir)
Sérendipité en Avignon !
(18 octobre 2023)