L'anniversaire qu'on ne fête plus

Publié le par Monique MERABET

L'anniversaire qu'on ne fête plus

L’ANNIVERSAIRE QU’ON NE FÊTE PLUS

 

Matin de 10 mai

surface crémeuse et lisse

du café

 

Un serpent s’enroule et s’engloutit dans le tube que ses spires ont modelé. Auto-dévoration.

Une femme se penche sur son passé. Tant de disparus, perdus de vue, d’anniversaires qui ne se fêtent plus : à peine une date qu’on finit par oublier, qui se double d’une deuxième date bouclant le cycle d’une vie.

Et l’on ressort de l’album les photos « de la dernière fois ». un p’tit souv’nir, Messiers-dames ?

Parfois demeure une fleur à espérer, un lys orange, un strelitzia — pourquoi ne refleurissent-ils pas ? —, une balle rongée d’humidité enfouie parmi les iris. Animal ou humain, la disparition d’un être aimé creuse la tanière de l’absence.

Notre existence est champ de cratères, terrain miné ; à chaque moment on peut rencontrer puits, aven, igue sous nos pas. Un monde d’obscurités ou, qui sait, de merveilles. Là où l’on n’ira pas dans l’immédiat, encore un peu de temps à rester en surface, au bord du trou, là où l’on ira se racoquiller dans la mémoire profonde des âges.

 

Vieille souche

je distingue une ouverture

porte restée béante

 

Un être surgi de la nuit que l’imagination peuple volontiers de spectres ?

Ce matin, d’un tour de cuiller, j’ai créé ce serpent qui plonge déjà la tête dans son néant, celui d’avant, celui d’après lorsque j’aurai tout avalé. J’aurais rêvé plus riante figure : un oiseau qui s’envole, les yeux ronds d’une chouette, un arbre parasol, une fleur, une danseuse…

Tant de silhouettes à deviner comme aux troncs sectionnés quand on se promène au jardin.

 

Visage d’aïeule

ce qui s’inscrit dans l’écorce

m’appartient

 

Il fera beau, disent les prophétesses de la météo du jour. Face au ciel bleu, j’entends d’invisibles oiseaux. Ils se font moins présents en mai. Saison de couvaison ?

Alors je photographie la tapisserie des ombres sur le mur inondé de soleil. Là, se succèdent tableaux désaccordés de la réalité qui s’y projette. Je suis toujours sensible aux métamorphoses que joue la lumière. L’ombre donne aux objets usuels, autre perspective, autre relief.

 

Voir apparaître

des bougies… happy birthday

à jamais muet

 

Un peu comme des stèles élevées à l’éphémère d’une vie humaine, à ces choses qui me survivront et qui auront peut-être une âme.

À l’inverse, célébrons-nous l’anniversaire des objets auxquels nous survivons ? Ceux que nous avons perdus par négligence, par maladresse, par accident.

 

Poterie brisée

non, n’accusons pas le chat

quand le vent se lève

 

C’est la deuxième fois que mon bel anthurium « chocolat » se retrouve par terre, cache-pot en grès brisé ! Ô jardinière insensée qui persiste à exposer aux alizés, matériaux si fragiles !

Sans compter avec la maladresse des doigts gourds lâchant la lampe à pétrole, celle qui avait éclairé les contes et les jeux autour de la table quand fénoir i tonm tro vite

 

Précieux sucrier

en verre rose ciselé

il vient de ma mère

 

Peut-être aussi gardons-nous ces objets souvenirs pour témoigner des anniversaires qui ne se fêtent plus.

 

Placé de guingois

le miroir offert naguère

pensée pour ma sœur

anniversaire passé

que l’on célèbre autrement

 

(10 mai 2024)

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