Liseron, arrosoir, estampe
LISERON, ARROSOIR, ESTAMPE
Liseron d’hiver
le bleu au ras du sol
Lundi de Pentecôte
Au commencement, surface crème du café, bercée à petits trous, telle une plaque préparée par le graveur pour l’œuvre au noir.
Quelques tours de cuiller — mon pinceau — font apparaître comme une tête d’animal… un tigre, peut-être ?
Je commence la journée par une œuvre d’art. dire qu’il me faudra la détruire afin d’accéder à la caféine nécessaire au réveil.
Ne pourrai-je pas quémander un café à la voisine ? Comme Chiyo-Ni découvrant le volubilis enroulé au seau du puits…
Et si je tentais un pastiche ?
Tête de tigre
dans ma tasse – j’irai
déjeuner chez la voisine
Dans la même veine, ce liseron fleurissant l’arrosoir posé sur une souche.
Terre desséchée
un liseron tardif
s’accroche à l’arrosoir
Mais cet arrosoir-ci n’est qu’un objet décoratif ; un objet mémoriel aussi. Il est en zinc, sans doute a-t-il été fabriqué par un ferblantier, comme il y en avait dans chaque village autrefois. Il fournissait arrosoirs, grègues et bassines de toutes tailles pour les ménagères du temps de mon enfance.
On arrosait alors à l’aide d’un arrosoir qu’on remplissait au robinet de la citerne communale. Je revois Maman en sa robe jaune rayée de gris, s’occupant du jardin de devant : le jardin d’agrément paradant à l’entrée de la maison. Là, on repiquait les boutures glanées au voisinage, on semait les graines en sachet, phlox, œillets, pied d’alouette, etc ; on enfouissait bulbes de lys, tubercules de dahlias, griffes d’anémones…
Dessin ducafé
vite avalé – j’écris
litanie des fleurs
Et en recherchant le haïku de Chiyo-Ni, je découvre cette estampe l’illustrant. J’apprends que l’artiste, Kuniyoshi, est un des derniers maîtres de l’estampe sur bois : ukiyo-e qui ricoche sur le haïku d’un japonais apprenant le français et que j’ai lu récemment. Il commence par « estampe ukiyo-e » et parle d’un… tigre !
Que le monde est grand ! Que le monde est petit puisque des univers si lointains, si différents, peuvent se rejoindre en haïku !
Le haïku n’est-il pas, lui-même, un outil de dilatation de l’espace et du temps ? Il permet de passer d’un modeste liseron en mon jardin, à Chiyo-Ni, la poète, à Kuniyoshi, l’artiste ; il réunit dans la même bulle, la fleur de l’arrosoir et la tête de tigre du café.
L’esprit créateur qui veille sur moi me souffle ces merveilles. Et, pour rester dans l’enchantement des mots, des mystères du vivant, cette chanson du groupe réunionnais Ousanousava , entendue à mon réveil.
« Néna des millions d’année ke nou lé la
Soman koman nou l’arivé, sa nu koné pa… »
(20 mai 2024)