Les kigos de Madame Jourdain
LES KIGOS DE MADAME JOURDAIN
Dessin du café
haïku en gestation
ou ce qu'il vous plaît
Madame Jourdain pourrait-elle écrire des haïkus ?
Si on suit le modèle japonais, on reste dans la réalité la plus sobre, les Japonais n’utilisent pas de verbe. Voilà qui pourrait passer pour terre-à-terre et convenir à Madame Jourdain, encore plus béotienne que son mari qui, lui, avait au moins le mérite de se poser des questions.
Voilà mon observation : au vent de Mai, les premières fleurs du manguier si précoces, n’auront pas résisté.
Pour répondre au kigo de mon cru, « premières fleurs de manguier… déjà. », j’envisage de passer par le truchement d’une Madame Jourdain ayant la bonne idée de venir jusqu’à mon jardin et de lever les yeux sur le vieux manguier.
La dame ignore les subtilités de l’écriture en trois lignes, 5-7-5, la césure, le pas de côté… et puis quoi encore ?
Ses mots diront la réalité simple, ce qu’elle constaté, rien de plus, rien de moins ; par exemple : avec le vent, les premières fleurs du manguier n’ont pas tenu.
Sans presque rien y changer — serait-elle moins balourde que moi ? — je retranscris sous forme d’un tercet :
Au vent de mai
premières fleurs du manguier
déjà fanées
Hé ! Pas mal, ça ! Pour un coup d’essai… aux innocents les mains pleines !
Il n’y a que l’assonance en é, ai qui me gêne. Je me garderai d’en faire état à ma muse ; elle me déclarerait sans doute : « Assonance ? Assonance ? Est-ce que j’ai une tête d’assonance ?
Tout doux ! Tout doux ! Je me débrouillerai seule. Pourquoi pas une petite inversion qui plairait sans doute au Maître de Philosophie de M. Jourdain, usant de permutations, Belle Marquise…
Grand vent de mai
aux manguiers premières fleurs
déjà fanées
Pour la troisième ligne, ce pourrait être aussi « fanées déjà »… Non ? Faut pas abuser, oui, je comprends.
Bien ! Dans la foulée, je cherche à écrire un haïku sur les sourires.
Les faits : la jeune fille solitaire s’achète une jacinthe bleue pour s’en faire petit bonheur du jour et, chaque soir, elle compte les sourires rencontrés sur son chemin dans la journée.
« Baya ! S’esclaffe Madame Jourdain, elle ferait mieux de prendre un mari, la grelinette ! »
Moi, aussi prosaïquement, je me gratte la tête. Oups ! Un peu plus complexe que les fleurs du manguier ! Déjà, il me faudrait élaguer, séparer la jacinthe des sourires bien que je sente un lien très fort entre les deux éléments. Peut-être aller vers le tanka.
Tan quoi ?... Là j’ai perdu Madame Jourdain. Définitivement.
Seule à sa fenêtre
elle compte les sourires
Qu’elle a rencontrés
l’indigo d’une jacinthe
pour petit bonheur du jour
(26 mai 2024)