Musique des mots
LA MUSIQUE DES MOTS
Mon stylo
inscrivant la toile
du matin
Vacuité des heures à venir. Chaque instant projette devant lui un autre instant, espérance, promesses en latence.
Continuité ou rupture, nul ne le sait déjà. Pas plus que l’air que composeront les mots s’épanchant sur le papier. Écrire est musique réajustée au temps qui passe afin qu’elle chante juste, qu’elle nous exprime de l’intérieur.
Et cela, on n’y parvient que rarement, voire jamais. Vingt fois sur le métier… essayer, essayer encore.
Courir après sa vérité comme une amoureuse de pleine lune tentant de rattraper son inatteignable amour. Paradoxe d’Achille et la tortue : la flèche du divin archer ne touchera jamais l’animal car la cible visée à l’instant t s’est déplacée à t+1.
Je n’ai à ma disposition qu’une page, un stylo, la faculté de biffer, raturer, rajouter, préciser, parenthèses et incises, jusqu’à ce que le texte devienne nœud inextricable… comme ces étranglements fatals que somatise notre chair lorsque le cerveau n’arrive plus à se démêler d’un réseau touffu de soucis, d’adaptations, de kass kontour : coups du sort, dit-on ; il est vrai qu’ils nous laissent courbaturés et dolents sous la volée de bois vert des incompréhensions — pourquoi cela a-t-il mal tourné ? —, des frustrations, des déceptions…
Et la naïve écrivaine que je suis, soumise à syndrome d’imposture, s’évertue à remodeler ses formules trop amères ou trop laudatives, coups de blues, coups de cœur.
Face aux chaos de la vie, la musique d’écriture se calque sur la chanson des vieux amants.
Avec l’âge, on devient plus raisonnable, on se méfie des mots et des engouements.
Mais se montre-t-on plus sage ou plus fol, de ne pas accéder à un amour, à un désir diffus que nous ne comprenons pas, si ce n’est celui de n’être rien ou d’être tout.
En danseuse sur le câble
la feuille sèche attend
(19 juin 2024)