Carnet de voyages pas tout à fait imaginaires (I)

Publié le par Monique MERABET

Carnet de voyages pas tout à fait imaginaires (I)

CARNET DE VOYAGES PAS TOUT À FAIT IMAGINAIRES (I)

 

 

Mardi 1er octobre 2024,

 

Dans mon sac à dos

sirop au coquelicot

interdit d’avion

 

Coquelicot, suprême exotisme pour l’îlienne d’hémisphère sud !

Il m’a fallu sauter la mer pour me réjouir les yeux des corolles rubis de l’été hexagonal. À chaque halte le dernier m’attendait, au pied des tournesols déjà secs de Charente, dans le pré aux vaches de Beauvais, entre Mers-les-Bains et Le Tréport sur la côte d’albâtre.

Mais l’exotisme est difficilement transportable lorsqu’il se heurte aux barrières sécuritaires d’un aéroport. Confiscation. Destruction.

 

 

 

Mercredi 2 octobre 2024,

 

Même bleu voilé

j’ai chaussé bottes magiques

Plouf ! ciel de Provence !

 

Ce matin le ciel austral est d’un bleu uni. Pas uniforme. Un léger voile de cirrus lui apporte miroitements, comme une mousseline déployée.

Les ciels du Sud ne ressemblent pas à ceux du Nord. Si je devais tenter une analogie, cependant, je dirais qu’aujourd’hui je retrouve un peu le bleu provençal, tel que je l’ai perçu près d’Avignon.

Flash-back sur mes notes de voyage 2023, « Ici, là-bas » :

Que sont ces fins nuages / si fins qu’ils voilent si légèrement l’azur ?

Ce matin, donc, chausser les bottes d’un conte et se retrouver à la maison près de la garrigue, au milieu des cyprès.

Ah ! Le bleu du ciel peut-il être exotique ?

 

 

 

Jeudi 3 octobre 2024,

 

Marché de Charente

découvrir saveurs aigrelettes

des pêches de vigne

 

Voyager. Franchir un arc de 10000 km, deux ou trois fuseaux horaires et se retrouver en campagne inconnue, à ne reconnaître ni plantes ni oiseaux…

Retour à l’île-montagne, au jardin clos.

Voyager. Il suffit de quelques notes et d’un peu d’imagination pour rejoindre les paradis d’enfance d’ici ou de là-bas.

Ah ! La saveur des pêches sauvageonnes maraudées aux champs  —  vignes ou géraniums — et aux vergers !

Les enfants d’ici et d’ailleurs hantent les mêmes jardins secrets.

 

 

 

Vendredi 4 octobre 2024,

 

Sans coquelicots

mon jardin créole semble

si peu exotique

 

Je me souviens de ce devoir de français, rédaction imposée par la professeure réunionnaise à ses élèves réunionnais : « Choisir trois mots (exotiques ?) qui vous font rêver »

La belle occasion pour moi de chanter enfin mes mythiques prairies aux coquelicots, celles qui ne se voyaient qu’en nos manuels de France hexagonale — ah ! Nos ancêtres les gaulois ! —, accompagnant le cycle décalé des saisons.

Je m’en suis donné à cœur joie pour décrire la lumineuse beauté des corolles que je cueillais à rouges brassées.

Et puis le couperet de la note attribuée, tout juste moyenne, et le commentaire à l’encre rouge: « Décevant. Une prairie, ça n’a rien d’exotique. »

Aurais-je dû parler d’ananas et de letchis (litchis peut-être) ?

 

 

 

Samedi 5 octobre 2024,

 

Jumelles oubliées

fixer quelques points mouvants

jeux des baleines

 

Espérer  avec les yeux du cœur et du désir. Toujours regarder vers le large, l’immensité.

Du haut du promontoire de l’aire de pique-nique, nous guettons l’océan et sa bordure de brisants au lagon de La Saline.

Seul le sillage d’un bateau minuscule trouble pour moi l’immobilité des flots.

Mais elles sont là ! Plus à droite ou plus à gauche vers la passe. « Elle a plongé ! » clament ceux qui ont de bons yeux, meilleurs que les miens, en tout cas.

Je les vois… pensées de baleines.

 

 

 

Dimanche 6 octobre,

 

Fin de randonnée

tout est là mer et montagne

dans mon carnet

 

Mêmes les voyages imaginaires méritent qu’on les raconte en dessins (gageure de ce mois d’octobre) ou en haïkus.

C’est ce que je proposerai aux lycéens allemands en séjour linguistique, lors d’un atelier prévu fin octobre.

Ramener images et poèmes. Voire cailloux et graines… J’en ai toujours plein les poches lorsque je me balade.

La petite fleur rose dans l’herbe, que j’ai failli écraser avant de mieux la distinguer, comme elle pousserait bien en mes plates-bandes !

Rêver de voir se lever cosmos ou coquelicots, graines clandestines fanées en quelque pot ! Croire au miracle.

 

 

 

Lundi 7 octobre 2024,

 

Vieilli avec moi

mon passeport toujours vierge

au fond du tiroir

 

Le document refait récemment me servira-t-il un jour ? quel pays étranger mon âge a-t-il envie de découvrir ?

Je ne suis guère attirée par les vains séjours touristiques, même s’ils sont teintés de « culturel ». On effleure un pays, une culture, une histoire sans les vivre vraiment, en quête d’exotisme, de pittoresque, de souvenirs à ramener dans sa galerie de photos à scroller.

Quant au voyage-vavangaj, nul n’est besoin de papier — ou de QR code à flasher… Oups ! — pour accéder outre-ciel.

Un livre, un haïku, une photo… Oh ! le beau jardin de chez Blandine ! Le cercle d’or des crocus m’invite à entrer dans la ronde, à être cet arbre au centre, à respirer un air d’automne.

 

 

 

Mardi 8 octobre 2024,

 

Trois petites marches

butant sur haute muraille

choisir un sésame

 

Au sortir d’un virage, mon regard accroche cet escalier aveugle qui débouche sur un mur infranchissable.

Je me dis, à chaque fois, qu’un jour je m’arrêterai, qu’un jour je percerai le mystère de l’escalier muré. Je suis certaine qu’il y a — peut-être au fond de moi — une formule magique qui fera que « la bobinette tirera et la chevillette cherra »

En attendant j’y repense comme d’un symbole de la vie qui s’arrête, un jour ou l’autre pour les vivants : parcours vertigineux et sinuant de mille degrés à grimper, au bout desquels on arrive jambes flageolantes et souffle ahanant, ou trois petites marches coupées dans leur juvénile élan.

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