Carnets de voyages pas tout à fait imaginaires II

Publié le par Monique MERABET

Carnets de voyages pas tout à fait imaginaires II

CARNET DE VOYAGES PAS TOUT À FAIT IMAGINAIRES (II)

 

 

Mercredi 9 octobre 2024,

 

Nouvelle voisine

illuminant la ruelle

salouva* soleil

(*salouva : tenue traditionnelle mahoraise)

 

La nouvelle voisine n’est pas d’ici. Ou plutôt, elle est d’un autre ici, d’une autre île.

Et déjà la rue s’inquiète… d’une fumée émanant de la cour, des phonèmes d’une langue inconnue, de cette lessive chamarrée étendue au balcon ou sur les murs de clôture.

Elle nous apporte l’étrangeté d’un ailleurs à découvrir ou à maugréer… ces gens-là, ça ne sait pas ce qui est convenable ou pas.

Et puis le sourire avenant au visage blanchi d’un masque au bois de santal, ses salutations chaleureuses, « comment ça va », le coup de main apporté aux résidents après le passage du cyclone… et l’étendoir acheté : autant de soleils dans l’allée d’un lotissement tranquille.

 

 

 

Jeudi 10 octobre 2024,

 

Quittez vos maisons !

ils sont devenus nomades

d’un camp à un autre

 

Ils avaient un pays, une maison, un jardin peut-être. La guerre les en a chassés, la guerre venue, on ne sait pourquoi, lorsqu’on est enfant ou paisible habitant d’une de ces contrées où se sont développées sagesses et religions. Pèlerinages d’autrefois, que nous ne ferons plus.

Chaque jour les médias égrènent leurs maléfiques antiennes du nombre de tués, de blessés — qui tient le registre macabre ? —, des hôpitaux ou des écoles explosés, des cratères au pied des immeubles écroulés. Que reste-t-il de la terre où ils sont nés ?

Navrance perpétuelle de ces cessez-le-feu qui n’arrivent jamais, de l’extension des champs de bataille, de cette haine qui s’accumule. Comment les survivants pourront-ils oublier ?

 

 

 

Vendredi 11 octobre 2024,

 

En-cas écocide

trois bananes épluchées

vendues sous plastique

 

La grande distribution multiplie les emballages calaminteux ; au marché, le moindre paquet de brèdes ou d’oignons verts est automatiquement glissé dans un sachet… « biodégradable », se rassure-t-on, c’est écrit dessus.

Ah ! Ne savent-ils pas que le plastique n’est jamais soluble dans la nature ? Il ne peut qu’être recyclé et finira toujours particules indestructibles gangrenant l’air et le sol.

L’histoire des bananes rapportée par un humoriste, me semble hélas ! véridique. Un cran de plus dans l’échelle de nos dégradations.

Vendre des bananes épluchées ! Sans doute une suggestion d’IA pour nous faire oublier que nous avons peut-être été singes ?

 

 

 

Samedi 12 octobre 2024,

 

Jardin  botanique

par le filtre d’un écran

la fleur … à distance

 

Visite guidée au jardin créole. On admire les rosiers longtemps. Au milieu du parterre, une azalée resplendissante.

« Regarde comme c’est joli ! » dit la mère à la fillette, en lui tendant son smartphone. Et l’enfant penche la tête vers l’image qui vient d’être captée.

Étrange rapport au vivant… Nos ressentis, nos sensations, nos admirations soumises au truchement d’un appareil numérique.

Comme s’il nous était nécessaire, urgent, d’occulter nos sens. Afin de nous préparer à la domination d’une intelligence artificielle ?

 

 

 

Dimanche 13 octobre 2024,

 

Oiseaux sur les toits

aucun arbre à l’horizon

du petit jardin

 

Je suis le martin qui prend son essor, depuis le toit de tôle, je m’envole avec lui, au-dessus, là-bas…

Le ciel n’a rien perdu de sa vastitude, n’a rien rogné de son infini. Il appartient au cosmos immuable, il échappe à nos déprédations de terriens.

Et s’il nous tombe sur la tête, de plus en plus fort, de plus en plus souvent, la pa lu lotèr !

Mais j’ai la chance de vivre en écrin de verdure. Comme ils sont doux ces feuillages qui débordent par delà la clôture ! Comme il est beau le chatoiement de la fresque des saisons !

 

 

 

Lundi 14 octobre 2024,

 

La langue inconnue

errer encore et encore

aux rues de mon rêve

 

La ville, soudain plongée dans la pénombre, a tout perdu de ses repères familiers.

Je n’ai pas pensé que la conférence à la bibliothèque se terminerait aussi tard, après soleil couché.

Je me retrouve piégée en un entrelacs de ruelles, coupe-jarrets, coupe-gorge, guet-apens… ombres patibulaires qui se faufilent.

Ah ! Pourvu que mon errance me conduise vers l’avenue bien éclairée ! Là, je pourrai appeler quelqu’un, qu’on vienne me chercher.

Si seulement je n’avais pas oublié mon téléphone sur le buffet…

 

 

 

Mardi 15 octobre 2024,

 

Histoire des pierres

ah ! il n’est pas dans le guide

Le petit crocus !

 

Laisser s’éloigner le groupe, guide en avant, faisant commentaires en un anglais approximatif. Les charmes d’un palais ou d’un amphithéâtre devenus ruines… quelques vestiges à contempler.

Photographe amateur, je prends le temps de zoomer, d’offrir à la petite fleur mauve, cadrage digne d’elle… attention à la lumière déclinante.

Touriste buissonnière, je garderai comme trésor l’improbable fleur épanouie ce jour-là — pour moi seule ? — sur un carré de sable.

 C’était à Jérash, je crois… ou au Wadi Rum ? Il y a plus de quarante ans en Jordanie.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article