10 Mai

Publié le par Monique MERABET

Le 10 Mai est la date choisie en France pour commémorer l'abolition de l'esclavage: fête chère à mon coeur de réunionnaise à la généalogie métissée d'ancêtres venus des quatre coins du monde.

A la Réunion, l'abolition de l'esclavage se fête le 20 Décembre... ce qui ne m'empêche pas d'apporter ici ma petite pierre, ce poème extrait de mon recueil "L'île du non retour" publié aux Editions SURYA

 

DANSE NÈGRE

 

 

 

Sur le pont bien lustré de la Vierge de Grâce,

Les matelots font cercle et ricanent, narquois,

Á voir les soubresauts agitant la carcasse

De l’esclave qui danse en gestes maladroits.

 

Danse, Zidor… Danse !

Que le spectacle commence !

pour l’infâme compagnie

de ceux qui sont du bon côté,

qui tiennent le manche du fouet

auquel ils t’ont soumis.

Danse au son de la macabre musique

du long shabouk qui siffle.

Danse sur tes frères enchaînés

lités dans la flottante barrique.

Danse… Tout à l’heure,

chacun à son tour, ils danseront sur toi.

 

Danse…

En bas, dans la cale putride,

le chef Zanbane est mort.

Danse pour son âme qui partira sans guide

lorsqu’aux requins, ils la jetteront par-dessus bord.

Danse ! Tes pas rapides reprennent,

des tambours funèbres, l’écho affaibli.

Danse… C’est le seul chant d’adieu, le seul requiem

qui saluera l’esprit de celui qui n’est plus,

au seuil d’un problématique au-delà.

Danse pour l’errance qui sera la sienne

et que tu partageras

au terme de ton séjour funeste

Dans les rets de l’île du non-retour.

 

Danse…

Fais jouer les fibres de tes muscles…

Là-bas, dans un ailleurs que tu ne connais pas,

le travail attend la vigueur de tes bras.

Danse…

Là-bas, seule compte, de tes membres, la force brute.

Danse…

Tu n’es que marchandise,

pièce de bétail qu’on marque et qu’on baptise

au gré d’humiliantes transactions.

Danse ! Tu n’as même plus de nom

et tu ne le sais pas...

 

Danse ! pour égayer les soudards à la peau blanche

qui s’esclaffent bruyamment lorsque tu te déhanches,

ajustant ton pas

à la chorégraphie du navire

qui tangue roule et vire

sur les flots renégats.

Danse ! quand ils rient de tes rythmes sauvages

et se persuadent, en toute bonne foi

que tu n’es qu’un animal

sans passé et sans loi.

 

Danse…

De sombres désirs de vengeance allument

sous ton crâne, un volcan d’amertume,

violence qu’attise le mépris des regards.

Danse ! pour forger l’acier de ta mémoire.

 

Danse…

Pour garder encore de ta rebelle essence.

Danse…

Pour ne pas sombrer dans la désespérance

de n’être plus rien qu’une bête servile.

Danse…

Un jour viendra, de palmes indélébiles

inscrites au ciel

d’un Vingt Décembre de soleil et de joie,

une nuit d’espoir où ton maloya

sublimera l’étincelle d’une liberté promise

sur cette terre par ton labeur, conquise

et que tu reconnaîtras.

 

Danse…

De tes bourreaux, tu as porté l’impardonnable faute.

Tu seras leur rachat

lorsque ton sang, au leur, se mêlera

en un fleuve fécond d’indissociables gouttes.

Danse…

Pour l’avenir de ta métisse descendance,

pour l’alchimie d’une subtile coexistence

du noir et du blanc.

Avec le temps, leur différence

de mille nuances, s’atténuera.

 (Monique MERABET)

 

 

Publié dans Evènements

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C
<br /> Je ne me lasse pas de lire et relire ton poème, si beau et si loin des slogans sur la question, habituellement lourdement martelés sans grâce et sans recul.Evoquer le problème en évitant<br /> ressentiment et hargne :difficile exrecice dont tu te tires avec brio.bises.<br /> <br /> <br /> claude<br />
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M
<br /> Sois fière de tous tes ancêtres, car nous sommes tous d'une seule et même race, dite humaine. Un beau poème. Une belle exposition de tableaux vivants consacrés au problème en question. ici, en<br /> Belgique.<br />
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