LE SECRET (IV)

Publié le par Monique MERABET

(Photo Monique)


                                        Secrets  de  bigotes

                                                              (Claude Guillon-Labetoulle)         

                                                

                

 

 

 

                         Le village de mon enfance s’enorgueillit de sa seule richesse : une église romane du XIIème et XIIIème siècle, classée au registre des Monuments Historiques. Mais dès les années cinquante, les fidèles se faisant rares parmi les trois cent et quelques âmes de la commune, il avait fallu se résigner à emprunter le curé d’une paroisse voisine pour assurer la messe un dimanche sur deux.

                      

                         Le soin d’ouvrir et de fermer la lourde porte de l’édifice fut confié à Mathilde qui tenait un fantôme d’épicerie juste en face. Il lui suffisait de traverser la place pour accomplir son devoir. Depuis la mort de son mari sa vie se répartissait en parts à peu près égales entre son négoce, son potager et l’église. L’arrangement sembla naturel à tout le monde mais lui valut la rancune tenace de Clémence, sa concurrente en piété.

                      

                         Clémence pendant de longues années avait officié en tant que secrétaire de mairie. De la fenêtre de son bureau elle surveillait  avec constance les allées et venues vers l’église d’autant plus facilement qu’elles étaient rares. Elle ne se remit jamais vraiment de l’offense qu’on lui avait infligée. En tant que nièce d’un précédent curé elle se croyait investie d’une mission capitale : veiller sur Notre-Dame de Sous-Terre.

                     

                          Il faut reconnaître que pendant plus de trente ans elle avait scrupuleusement passé de longues heures à cirer les bancs et les prie-Dieu, à astiquer le cuivre de la balustrade qui séparait la nef du chœur, à secouer les tapis, à empeser les dentelles de l’autel et garnir les vases de fleurs fraîches. Elle bichonnait dévotement la crypte où trônait une vénérable Vierge Noire qui ne quittait son autel que le jour du quinze août. La procession lui faisait faire le tour du village avant de la remettre au frais. D’aucuns prétendaient que la vierge à l’enfant intercédait auprès du Très Haut pour aider ceux qui s’adressaient à elle. La crypte regorgeait d’ex-voto en tous genres. Des plaques, des photos, des appareillages d’estropiés guéris disait-on par ses soins, des lettres, des bouts de voiles de mariées et des cierges qui se consumaient doucement dans la pénombre.

 

                        Bientôt une guerre souterraine se mit en place entre les deux bigotes. Chacune épiait l’autre d’un œil implacable. Clémence donnait à supposer que Mathilde avait une fâcheuse tendance à se ruer dans l’église après le départ du moindre visiteur, pas étonnant donc que le curé se plaigne de ne trouver dans les troncs rien d’autre que des boutons de culotte ou des pièces périmées…Les gens souriaient, amusés, car c’était de notoriété publique que Mathilde ponctionnait deux ou trois morceaux de sucre par kilo. Elle arrivait à vendre six paquets de bonbons après n’en avoir acheté que quatre au grossiste et même, elle baptisait son vin. Mais bon, après tout personne ne  rémunérait la fonction de portier qu’elle exerçait avec zèle.

 

                        Les sourires se faisaient entendus quand Mathilde expliquait à son tour que les cierges neufs semblaient disparaître un peu vite. De fait les pélerins étaient plutôt rares et la plupart du temps désargentés et elle était bien placée pour savoir qu’ils n’allumaient qu’un cierge à chaque fois. Elle se rappelait aussi avoir vu Clémence sortir de la sacristie alors que normalement seul le curé en exercice en détenait la clef. Or c’est là qu’étaient entreposés les trésors de l’église : chasubles, surplis, étoles, burettes, ciboires, calices…Au fait, elle se souvenait qu’au temps de l’oncle de Clémence il y avait un précieux calice en or, mais personne ne l’avait plus revu depuis au moins vingt ans. Bizarre non ?

 

                        Puis par un beau jour les insinuations sournoises et les remarques ambigues cessèrent brusquement de part et d’autre. On put voir les deux grenouilles de bénitier entrer et sortir de l’église bras dessus, bras dessous en papotant. Jamais aucune d’entre elles ne prit la peine d’expliquer les raisons de ce changement. Sûrement il devait y avoir un petit secret là-dessous…qui sait, peut-être même un gros secret.

 

                        En effet il y avait anguille sous roche. Clémence avait enfin réussi à surprendre Mathilde en pleine action devant la porte béante du tronc près du confessionnal. Seulement elle n’en souffla jamais mot à qui que ce soit. Mathilde, curieuse comme une chouette, avait depuis longtemps lu le contenu des lettres adressées à la vierge et en avait confisqué une. Malgré ses défauts, Clémence en bonne chrétienne avait soulagé sa conscience. Dans sa missive, elle implorait le pardon divin et avouait avoir subtilisé le fameux ciboire de vermeil. Son achat par un antiquaire de passage lui avait permis d’offrir à son défunt mari des funérailles dignes de ce nom.

 

                        Comment j’ai pu apprendre tout ça ? Seules les marches de granit  de l’escalier qui mène dans l’épaisseur des murs jusqu’au-dessus de la voûte pourraient vous le dire car moi, je ne cafte pas !

Publié dans LE SECRET

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
moi, j'adore les secrets. je ne sais pas si je serai capable de les garder aussi bien que Mathilde et Clémence, car j'ai tendance à raconter ce que j'ai vu et entendu. preuve mon blog.Mais puisque Dieu est bon, il me pardonnera.belle histoire
Répondre
B
Le petit Jésus l'aura sans doute excusée.Un vol pour une bonne action,est ce vraiment un vol?Merci pour ce secret éventé.Amitiés!
Répondre
J
Le texte est mis en valeur par la photo.Amitiés,Joséphine.
Répondre
M
<br /> Bon! l'image (Eglise des Colimaçons) est un peu décalée par rapport au texte (église romane). J'espère que Claude ne men voudra pas. Merci pour ton petit mot Joséphine.<br /> <br /> <br />