Ceux qui comptent (Monique MERABET)
(Monique MERABET)
Je dois avoir un petit côté « autiste ». Il m’arrive souvent d’accompagner mes activités (surtout celles qui sont monotones) d’une récitation de nombres.
Soixante, soixante-et-un…
avant de poser
mon sac trop lourd
Ah ! C’est réconfortant de compter ses pas. Cela permet de ne pas se décourager, de mesurer le chemin déjà parcouru avant d’atteindre sa voiture ou son domicile. Curieusement, ce qui me réconforte là-dedans, c’est de savoir que la liste des entiers est infinie et… donc je finirai bien par m’arrêter de les psalmodier. Et donc, la corvée entreprise aura une fin elle aussi.
Parfois, le dénombrement aide à se repérer, à mieux appréhender ce qui nous environne, à identifier…
Six pattes sur le mur –
un insecte,
dit mon haïku
Il ne dit pas le nom de l’insecte mais cela me satisfait ainsi car il me faut bien composer avec mes ignorances crasses.
Compter jusqu’à 10 -
ce n’est pas une araignée
desséchée
Là aussi la reconnaissance est parcellaire mais reconnaissance, quand même.
Compter, une manière d’agrémenter les attentes. Comme celle, si longue au guichet de la Poste où j’attendais un pli recommandé. Tellement longue que l’orage qui menaçait avait fini par éclater
Jusqu’à cinquante
les fleurs roses qui tombent
attendre l’embellie
Et la certitude, qu’après la pluie vient le beau temps.
Je ne suis pas la seule, loin s’en faut, à user de ces « doudous » de nombres. Quand ma petite-nièce Héloïse s’est retrouvée en vacances loin de son environnement habituel, elle récitait comme un mantra, des listes de nombres. Tout était pour elle occasion de comptage.
Devoir de vacances
compter jusqu’à douze
- piqûres de moustiques
Attendrissant ! Pour d’autres, par contre, le décompte peut paraître un tantinet cynique.
Son bébé a pleuré
deux heures d’affilée – c’est
sur Facebook
Question de partager son désarroi de mère sans doute.
Pour moi, cependant, compter est un moyen sûr de maîtriser le temps. Mon meilleur ennemi le temps qui trop souvent se moque de moi et de mes vaines tentatives pour le retenir. Quel bien fou de pouvoir lui faire la nique de temps à autre…
Trier les lentilles
une par une… le temps
passe ailleurs
Je peux même peut-être carrément l’arrêter. Ne serait-ce que virtuellement.
Les douze fruits à pain
Immobiles -
mon temps suspendu
C’est ainsi qu’on peut gagner au jeu du temps en jouant « à qui perd gagne ». J’ai lu l’autre jour dans un magazine : « Moi je laisse de côté ce qui fait gagner du temps ; ainsi, je fais moins de choses et j’ai plus de temps… »
Alors je laisse mes pensées buller . Rester planté là, sans rien faire et cela, le plus longtemps possible, cela ressemble fort au bonheur.
Compter jusqu’à cent -
la tourterelle là-haut
qu’est-ce qu’elle attend ?
Et même si la tourterelle finit par s’envoler, même s’il faut bien se lever pour les tâches du quotidien…
Au marché
flâner derrière
deux papillons blancs
Deux. Deux seulement. Mais combien de battements d’aile !