Chambre (12)
(image Flickr)
Ma chambre.
(Camille PAYET)
L’adjectif possessif qui te précède signifie bien que j’ai quelque droit sur toi. Que tu m’es destinée. Que je peux t’utiliser à ma guise. Si je ne suis pas ton propriétaire légal, je peux être ton locataire privilégié. Pas à n’importe quel prix, certes…Selon les normes, bien entendu, de la loi de l’ordre, du rangement, de la propreté.. Comme j’aurais aimé que tu sois ma complice, mon amie ! Ma confidente qui sait et qui tait tous mes secrets. Tu aurais été le témoin, la receleuse de mes bonnes actions comme de mes actes délictuels. Comme fumer une cigarette en cachette. Feuilleter une revue porno en catimini. Tu aurais partagé mon jardin secret en quelque sorte. J’aurais souhaité entre toi et moi des liens fusionnels. J’aurais alors pu te réciter ces vers :
Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer…
Hélas !de ma vie je n’ai jamais dit ‘’ma’’ chambre. Nous étions onze enfants à la maison. Six filles. Six garçons. On disait ‘’la’’ chambre des filles.’’ La’’ chambre des garçons. Vous voyez ! Un endroit presque quelconque, impersonnel, pas individuel pour un sou, beaucoup plus collectif.
Avec ses deux grands lits alignés. Une image de la Vierge, collée au mur. On aurait dit un dortoir de pensionnat. Un lieu de passage, où l’on ne fait que transiter. Interdit la journée, propreté oblige. A moins qu’on ne soit malade. Un coin banal comme un autre. Superficiel. Pas intime en tout cas. Même s’il cachait nos bêtises et nos jeux défendus. Mais c’était le refuge qui nous abritait contre les intempéries. Où la fratrie était au chaud. L’asile, où il faisait bon vivre. C’est là que j’ai grandi…
A quelque chose malheur est bon. Privé de chambre individuelle, je me suis mis à chercher et à trouver d’autres lieux complices, témoins et receleurs muets. J’ai pu en quelque sorte rattraper le temps perdu. Et le Nec plus ultra : j’ai découvert la plus belle et la plus extraordinaire des chambres, spacieuse à souhait. La chambre –mère, Dame Nature. Un trou dans un mur pour cacher mes objets secrets. Une grotte dans la forêt toute proche pour mes jeux interdits. Un coin au fond du jardin pour des essais de semences florales et potagères. Un petit coin vert entre les rochers, près du ruisseau, pour rêver. Les branches accueillantes d’un arbre pour une sieste improvisée, un voyage en vaisseau dans l’espace et le temps.
Je me suis réservé aussi un coin plus grand de mon cerveau. Dans mon coffre-fort, dont j’avais seul le code d’accès, j’enfouissais jalousement tous mes secrets, que je ne partageais qu’avec mes amis préférés.
Puis, je me suis marié. La chambre est devenue ‘’notre’’ chambre. ‘’Notre’’ amie,’’ notre’’ cocon, ‘’notre’’ sas de décompression, témoins de toutes nos actions communes. Nous y avons mis toutes les choses qu’on aime. Nous y tissons alors depuis, des liens complices, de connivence.