Chambre (3)
(image Flickr)
CHAMBRE MORTUAIRE (ou goujateries)
(Brigitte LASCOMBE)
Pierre décédé de frais, les souvenirs enfouis crevaient de leurs bulles saumâtres la surface polie de sa mémoire.
Le soutien de la famille s’avérait indispensable et l’intimité, ça la connaissait.
Le jour dit, elle se prépara avec soin. Comme pour un repas de noces elle brusha ses boucles brunes, épila le moindre poil superflu, se doucha longuement, enveloppant son corps soyeux d’une brume fleurie, choisit un string azur à peine perceptible sous une jupe marine moulante, galba ses seins ronds d’un soutien-gorge pigeonnant assorti et enroba le tout d’un top mettant en valeur ses formes pulpeuses.
Artifices idéaux pour transmettre, au clan réuni dans la chambre mortuaire, l’image d’une femme encore désirable.
Court recueillement à l’aplomb du lit, puis moment opportun des condoléances. Piquant droit sur la veuve éplorée, elle saisit avec chaleur ses deux paumes moites et se composa une voix amicale empreinte de compassion.
« Je suis à vos côtés. J’ai tant partagé avec Pierre, plus que vous ne pourriez l’imaginer. En tout bien tout honneur, bien entendu, mais il nous manque déjà terriblement à toutes. »
La veuve, à chaque parole, se tassait comme assaillie par la vague aigre-douce des paroles susurrées, bien trop mielleuses pour être honnêtes.
Prenant appui sur l’épaule de son fils, la femme en deuil murmura un merci d’opérette avant de fondre en larmes.
Tristesse, dépit, frustration ou compréhension des multiples trahisons subies sans jamais vouloir se les avouer ?
Auréolée d’un éclat de provocation, les lèvres étirées par un soupçon d’ironie, la belle goujate s’éjecta de la pièce, un peu trop rapidement, suivie des yeux par le clan désappoiné, n’osant élever le ton dans de pareilles circonstances.