Chambre (4)

Publié le par Monique MERABET

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Un nid, entre ciel et terre…

(Huguette PAYET)

 

J’étais alors dans ma dixième année, l’année où nous avons quitté  notre campagne natale, pour la ville.

Je serrais dans ma poche la page de cahier pliée avec les aurevoirs de Marie-Jeanne, ma meilleure amie du CM2. Je savais que je ne la reverrai sans doute plus jamais. Le goût de la dernière mangue, qu’elle  avait apportée la veille, de son verger et dans laquelle notre petit groupe avait mordu tour à tour, me resterait  à jamais sur les papilles. C’était  le goût de l’enfance …

Aux dires de mon père les réparations de notre nouvelle maison allaient bon train. En attendant, nous occupions le logement de fonction du Directeur en titre, qu’il remplaçait pour une année scolaire, le temps d’un congé en Métropole. Nous étions tous loin de penser que notre maison était  si  proche du lieu où nous vivions par intérim. Nos parents  s’étaient bien gardés de nous dévoiler ce secret  jusqu’à la fin des travaux.

L’année finie, je la vis enfin, notre maison. Elle me fit l’effet d’un château. Sous son immense toiture de bardeaux, à l’unique étage, quatre paires de fenêtres s’ouvraient aux quatre points cardinaux sur des  paysages bien différents.

 Celles de devant étaient comme deux yeux qui regardaient la rue, par-dessus la varangue, fichée de ses deux pavillons carrés et aussi d’un grand baro fier de ses volutes  de fer forgé, de sa clochette qui signalait l’arrivant et de son numéro 44, sage dans son ovale.

 Celles de derrière montaient la garde sur les dépendances qui marquaient la limite de l’arrière cour et plongeaient sur la plus grande surface de tôle ondulée et légèrement pentue  du toit jusqu’aux frondaisons sombres des arbres voisins.

Celles à  la droite de la maison avaient l’œil sur le petit pavillon blanc qui faisait au départ partie du tout, séparé depuis par un muret porteur d’une simple palissade. Une survivante  de l’ancienne famille décimée, s’y était réfugiée  comme une petite abeille fragile dans son alvéole. Un œil exercé aurait pu se perdre jusqu’au bas de la rue et y deviner le quartier du Petit Marché, gouailleur et coloré et peut-être même un bout d’horizon par temps bien clair.

Les deux fenêtres de gauche enfin, avaient pleine vue sur la cour latérale avec son allée de béton conduisant au garage, et sur le poulailler qui abritait quelques couples de poulets du Japon et de l’Inde,  là pour leur beauté et  pour leurs œufs frais, que ma mère ramassait chaque jour avec soin. Romantiques à leurs heures, ces fenêtres faisaient les yeux doux  aux  caféiers d’antan aux fleurs odorantes, ou curieuses parfois , elles pouvaient lorgner  jusqu’à l’angle du bassin  construit sur le mur de clôture côté trottoir, fermé par le deuxième baro , un peu plus large, moins haut et moins forgé que le premier menant à la varangue.  Fenêtres télescopiques encore, elles s’ouvraient sur un angle beaucoup plus grand que les autres fenêtres, sur la voûte céleste bleu d’azur le jour, bleu sombre piqueté d’étoiles la nuit, ou bleu argenté les soirs de pleine lune. Autant d’invitations à des rêves toujours différents que je ferais en m’y accoudant…

J’eus le coup de foudre pour ce coin suspendu entre ciel et terre. J’aurais aimé y faire mon nid. J’entendais déjà la voix de mon père qui me dirait :’’Mais ma petite fille, c’est la seule pièce non peinte, le plancher est à refaire entièrement. Et puis, elle est très étroite aussi car nous avons voulu avantager la pièce centrale de l’étage. On ne peut pas y mettre grand-chose…Sans compter que le plafond n’existe pas encore. Tu entendras la pluie tambouriner sur les bardeaux et le vent en léchant le toit, te fera peur ’’.

La fratrie eut des goûts heureusement différents des miens et ces combles de me rêves restèrent  comme par miracle vacants.  Après avoir testé leur capacité d’accueil, mon père ajouta à mon grand étonnement: ‘’Sûr que pour travailler, tu y seras tranquille. Une sixième classique en lycée demande des efforts soutenus.’’ Il avait dit vrai. Les cloisons de bois et les poutres du  toit m’ont entendue tourner les pages  de mon Gaffiot toilé, des années durant, jusqu’au second bac. Le lycée de jeunes filles que je fréquentais  était à deux coins de rue de chez nous  et  la Bibliothèque Départementale toute proche, bourrée de traductions d’auteurs latins, à un saut de puce de plus. J’étais leur amie fidèle, surtout après la mort de mon père, l’année qui a suivi notre installation. Il me fallait réussir.

J’étais dans ma vingtième année quand j’ai quitté mon nid sous les toits, après mes études à l’Ecole Normale, pour rejoindre notre  premier poste-double d’enseignants, dans l’Est. Il avait abrité mes pleurs et mes joies, mes instants de découragement et d’espoir, mes heures de solitude et de rencontres, mes  écritures et mes ébauches de dessins au fil des jours, ma quête d’amitié et d’amour. Dans notre petite Fiat neuve,  qu’Il conduisait, je caressais  mon alliance toute neuve.

J’eus un dernier regard pour mon nid sous le toit.

J’y laissais, le cœur serré, mon premier baiser. Il avait un goût d’âme-sœur.

 

 

 

 

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C
<br /> <br /> Un grand bravo à Huguette pour cette 'chambre à soi' pleine de tendresse et d'émotions fidèle à son écriture sensible.<br /> <br /> <br /> Claude<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> A Jean-Frantz, Brigitte, Angeline, Fanny, Anick et Monique...<br /> <br /> <br /> Je viens vous remercier pour vos commentaires pleins de tendresses, à propos de mon texte sur ma chambre entre ciel et terre. J'ai eu l'impression que malgré nos différences (âge, pays<br /> d'origine, cultures, histoires personnelles) nous avons vibré ensemble de la même vibration, nous découvrant comme dans une fratrie de coeur.Ne sommes nous pas de la même  pâte humaine avec<br /> ses joies, ses douleurs, ses limites aussi...Et les mots sont là aussi pour rassembler, même s'ils peuvent parfois séparer...Huguette.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> A Jean-Frantz, Brigitte, Angeline, Fanny, Anick, Monique...<br /> <br /> <br /> Peu importe si je ne vous connais pas tous, mais c'est merveilleux que mon texte nous rassemble comme les membres d'une famille de coeur vibrant à la même vibration. Cela fait du bien...Sans très<br /> grande importance... les frontières , l'âge, les cultures, nous sommes de la même pâte humaine avec nos joies, nos peines, nos luttes, nos victoires et nos limites. Merci à vous tous pour toutes<br /> vos tendresses . Elles ont résonné dans mon coeur. Huguette.<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Ah, ce "goût d'âme soeur" ! Comment ne pas le savourer, même de loin, même si cette maison ne ressemble à rien que je connaisse, quand je lis le texte d'Huguette ; les "yeux" de ta maison,<br /> Huguette, regardent au plus intime de nous-mêmes. Merci pour cette émotion à la lecture de ta belle histoire, si lointaine et si actuelle à la fois.<br /> <br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> <br /> Anick<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Un merveilleux texte , une écriture fluide et rythmée...j'adOre!!!<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci Fanny<br /> <br /> <br /> Oui, le texte de Huguette, tout en sensibilité nous est cher au coeur. J'espère que vous continuerez la é rie avec nous et que les autres textes vous plairont aussi.<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Bonjour ensoleillé Monique<br /> <br /> <br /> C'est un beau texte, j'ai fait un petit retour en arrière en pensant à la chambre de mon enfance, que de souvenirs.<br /> <br /> <br /> Douce journée et bisous angéliques<br /> <br /> <br /> Angeline<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Bonne journée à toi aussi Angeline!<br /> <br /> <br /> Qu'impote finalement les lieux sans doute très différents... Chacun se sent dans sa propre enfance dans la chambre d'Huguette.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> <br /> Ce texte est émouvant et m'a rappelé bien des souvenirs.Merci!<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Les souvenirs de maison d'enfance doivent un peu constituer notre inconscient collectif. Tant chacun s'y sent chez soi...<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Un récit passionnant écrit avec l'encre du coeur. J'étais au paroxysme de l'état heureux en lisant cette écriture fougueuse et passionnante de Huguette Payet. Toutes mes félicitations à toi<br /> Huguette et à toute l'équipe de Patpantin.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci de ta visite Jean Frantz. Huguette écrit toujours "à l'encre du coeur" ... comme moi... comme toi.<br /> <br /> <br /> <br />