Chambre (7)
(image Flickr)
TOUT CE QUI TRAÎNE
(Isabel ASUNSOLO)
Il ne reviendra pas.
Par la fenêtre, il y a les cerisiers en fleurs, ces cerisiers aux fleurs très roses comme on voit dans les villes, qui collent aux capots sombres pour faire comme des voitures de mariés et qu’il faut balayer à la sortie. Mon frère aime s’en remplir les poches. Il dit qu’il pleut des confettis. Il les ramasse par poignées dans le caniveau pour me remplir la chemise par le cou. Il faut faire vite parce que les pluies d’avril ne tardent pas à les pourrir. Surtout en dessous. Ceux de la surface tiennent encore un peu. Je pense au caniveau plein, à l’eau qui a du mal à circuler avec tout ce rose qui devient marron. Paraît que c’est chimique. Moi je me demande si la mort c’est chimique comme pour les pétales. Mon frère quand il fait une farce il rit bizarrement, ses yeux restent fermés.
Je suis resté longtemps collé aux pantalons des grands. Les pantalons sombres sentent la sueur et la poussière, j’étouffe un peu. Je ne crois pas que les pétales de cerisier rose bonbon ont une odeur. Comment ils pourraient en avoir une s’ils ne donnent pas de fruits. Autre chose à laquelle j’aime jouer avec mon frère : aux chapas. Les capsules de bière qu’il collectionne, il les trouve par terre. On fait des courses sur le sable. Je vais avoir tout ça.
Sa chambre aussi. Sa collection de fossiles et de pierres. Les trésors de ses tiroirs, ceux du haut et ceux du bas. Ceux que je ne dois ouvrir pour rien au monde. Si lo haces te mato. Maintenant je vais le faire, il ne dira rien. Les pièges qu’il construit, les arcs qu’il fabrique avec des baguettes de noisetier, tout ça. Les pièces anciennes et romaines, les douilles et les dés à coudre en bronze qu’il ramène de ses virées nocturnes. Je ne veux pas qu’on nettoie, non, rien. Les minéraux, les douilles, les cartouches et les masques, tout sera à moi avec la poussière, que je n’enlèverai pas. Paraît qu’on devient poussière, il y en a qui disent que c’est tout. Ma mère dit que non.
Les étagères sont à moi. Les avions en balsa, les maquettes, les revues. Je m’installe dans son lit aussi, dans ses draps même pas lavés. Il y a son odeur. Son chien vient dormir chez moi. Il m’aime. Je suis peinard. Son bureau est le mien, ses papiers pliés en quatre, ses secrets, ses cahiers. Les petits mots qu’il écrit parfois. Tout ce qui traîne et tout ce qui ne traîne pas. Tu n’as pas le droit qu’il disait. Et sa fenêtre. C’est surtout sa fenêtre que je veux avoir parce qu’elle donne sur le lac et qu’on peut si on veut ne pas dormir la nuit et regarder la lune, et même attirer les poissons et pêcher. Et sortir aussi si on veut, quand tout le monde dort. A sa fenêtre, je regarde la nuit et la nuit me regarde. Est-ce qu’elle pense que je suis lui ? C’est bien possible, on se ressemble de plus en plus. L’autre matin j’ai retrouvé quelques écailles oranges et blanches sur le rebord de la fenêtre. Et une touffe de poils. C’est qu’il a de la chance, mon frère, de pêcher de la fenêtre de sa chambre. Une chance de sortir comme il veut.