Dimanche, on tourne... les pages (30)
LES HEURES SILENCIEUSES
(Gaëlle Josse)
L’ombre de ma main
dans la jungle des lettres
une fourmi s’affole
Chaque matin, je m’empresse d’aligner les mots sur mon cahier. Ma main s’accompagne parfois des zigzags d’une fourmi ou du guidage d’un moucheron posé en grain de beauté.
Que fera-t-on de toutes ces pages à ma mort ? C’est la question que se pose mon mari. Moi j’imagine un autodafé, juste avant de partir… Il y aura bien un ange pour me prévenir, non ?
En fait, le sort de mes écrits après moi, cela ne m’intéresse pas du tout. Après moi, le monde aura pris fin.
Cela vaut-il le coup d’écrire alors que je sais que tous ces écrits resteront enfouis dans des cahiers jusqu’aux cendres finales ? Écrire pour rien ?
Écrie pour écrire, plutôt. Exister en écriture. Enfin, je m’exprime bien maladroitement : je ne veux pas dire que je n’existe pas vraiment, que je ne suis qu’un personnage virtuel complètement détaché de ce qui m’entoure. Non ! Écrire, est une façon parmi d’autres, d’avoir conscience d’exister.
C’est en tout cas, ce que j’ai ressenti à la lecture de ce court roman de Gaëlle Josse : « Les heures silencieuses »
Quelques pages, quelques extraits du journal de Magdalena, la femme vue de dos sur le tableau du peintre Emmanuel De Witte, Intérior with a woman at the virginal. Quelques notes, quelques événements, deuils, naissances, mariage, et tout est dit ! Quelques confidences aussi que l’héroïne choisit de confier à ces papiers qui resteront peut-être ignorés.
« Á mettre de l’ordre dans mon cœur, et un peu de paix dans mon âme, à me souvenir des joies passées et à accueillir mes peines, ils suffisent. »
J’aime ces fragments de vie parcourus de l’intérieur, pensées intimes d’une femme à l’existence lisse et ordonnée… celle de la caste des marchands hollandais du XVIIe siècle. Pensées interlopes parfois, comme dirait Brassens. Au fil des phrases courtes et denses, une existence sans éclats se déroule, dans le silence d’une chambre où l’épouse délaissée se penche sur ses instants, présent et passé entremêlés.
J’aime l’écriture de Gaëlle Josse, sobre, fluide, laissant des interstices où le lecteur (la lectrice surtout) peut insérer ses propres émotions. Ainsi cette fin de jour qui éveille en moi plus qu’un écho :
« La lumière qui décroît dans le ciel, l’ombre qui tombe à terre en dévorant les couleurs et en assourdissant les formes, m’emplissent d’inquiétudes. »
Vent qui multiplie
au jardin, les recoins d’ombre
la lune si haut !
Je reviens sur cette peinture de De Witte qui a déclenché le récit de Gaëlle Josse. Ce tableau de couverture, cette femme vue de dos jouant du clavecin, l’aurais-je seulement remarquée, si j’avais découvert le tableau dans les pages d’un album ? Aurais-je remarqué le reflet dans le miroir qui ne donne à voir qu’un bonnet et tous les détails du décor et la silhouette de la servante au fond de l’alcôve ?
Le livre de « ces heures silencieuses » joue pour moi un rôle vulgarisateur (au sens noble du terme) : sa lecture me permet d’approcher une œuvre d’art, de comprendre un peu la mystérieuse essence d’une création artistique. Rien n’y est jamais fortuit… comme pour les mots de l’auteure qui sait recréer une existence à travers les ressentis de sa propre féminité.
Cette lecture m’a enchantée comme m’avait enchantée « La jeune fille à la perle » de Spencer Tracy, autre ouvrage inspiré par un tableau (de Vermeer, cette fois).
(Monique MERABET, 28 Juillet 2013)
NB : les haïkus sont de mon cru