Dimanche, on tourne... les pages (34)
LE PEINTRE D’ÉVENTAIL
(Hubert HADDAD)
Un jour tout bleu, un jour tout gris
Pour moi, c’est toujours bleu et gris
J’aime le bleu
J’aime le gris
Et qu’importe la petite ritournelle que me susurre cette entre-saison du mois d’Août ! Puisque je lis ce merveilleux petit bouquin « Le peintre d’éventail » de Hubert HADDAD.
Roman zen s’il en fut, Roman haïbun (oui, il y a des haïkus !), roman qui nous plonge dans l’émerveillement d’un jardin, éternellement renouvelé. Et, sous la plume inspirée de Hubert HADDAD, ce jardin s’écrit, se dessine au rythme des saisons. Le génial jardinier, dont le livre nous relate l’histoire, n’est présent que pour prendre soin de toute cette beauté offerte : comme Adam, qui n’aurait jamais dû outrepasser son rôle de jardinier d’Eden.
Le jardin terrestre dont s’occupe Matabei est une réplique de ce paradis originel, espace d’harmonie si bien agencé que même le moine aveugle en perçoit la structure :
« Quelle beauté, s’était-il exclamé, quel enchantement dans les perspectives ! »
Et ce jardin-paysage, est objet de vénération pour le jardinier « … heureux de sa journée de révérences aux oignons de tulipe et de passes magnétiques autour des arbustes piégés de fils d’araignée. »
Un jardin qui devient entité animée d’une vie propre, une personne tournant vers le ciel son «beau visage en méditation »
Jardin de silence aussi [qui] « trouve son fil dans un chuchotis d’eau vive, à peine trois notes par le bec et l’embouchure d’un pipeau de glace »
Et jardin d’apocalypse sous les assauts conjugués de la fureur des éléments et de la folie des hommes, si magistralement évoquées !
« la terre et l’océan étaient venus à bout des espérances humaines. »
Ah ! on les citerait toutes, les phrases ciselées de Hubert HADDAD ! Quelle maîtrise de l’écriture ! Les mots, les sons, le rythme, savent exprimer aussi bien la lenteur des saisons que la soudaineté et la brutalité de la destruction finale.
Quant aux haïkus, ils sont superbement écrits eux aussi : il n’y manque ni l’ancrage au plus profond de la nature, ni le petit rien qui nous mène au-delà, sur une autre rive de pensée.
« inverser sans cesse l’impression de proche et de lointain, à partir du plan intermédiaire de sorte à désorienter le regard »
Par un jeu subtil de correspondances, les haïkus se mêlent aux calligraphies et peintures des éventails que fignole le vieux jardinier Osaki au secret de son atelier. Ces arts complémentaires que sont jardinage, dessins, haïkus, seront transmis à Matabei… qui, lui-même initiera Hi Han le narrateur. La transmission des savoirs techniques se fait ici traditionnellement de maître à disciple… mais aussi la transmission de l’humilité de l’artiste devant la nature et le respect à lui apporter.
« Il ne pouvait qu’admettre, une fois de plus, la souveraineté de la nature. Jardiniers et maîtres paysagers s’épuisaient en vain dans l’imitation de son aspect sauvage. »
On pourrait en dire autant des haïkistes amateurs et des maîtres haïjins. Ah ! Cet ouvrage ne peut qu’enchanter les amoureux des haïkus… qu’ils soient d’essence japonaise ou tirant leur inspiration d’autres paysages, d’autres saisons de notre terre.
De vrais joyaux les haïkus insérés dans cet ouvrage ! Ils me sont délectables comme celui-ci :
Nuit de tempête –
la branche contre un volet
parle des esprits
Et pour terminer, ces lignes empreintes de joyeuse certitude en la pérennité de la vie.
« Mais le jardin renaîtra, un matin de printemps, c’est bien la seule chose qui importe. Il s’épanouira dans une palpitation insensée d’éventails. »
La seule, oui.
(Monique MERABET, 25 Août 2013)
PS: Et, voyez comme je suis gentille aujourd'hui! Dans la même chronique, je vous recommande un deuxième ouvrage:
Les haïkus du peintre d'éventail
(Hubert Haddad)
Que des haïkus! Du pur bonheur!