Dimanche, on tourne... les pages (6)
Un assassin blanc comme neige
(Christian BOBIN)
Hier je disais, j’écrivais : « il pleut, il ne fait que pleuvoir ; il n’y a rien de plus à dire ».
Et puis j’ai ouvert « Un assassin blanc comme neige » de Christian Bobin : livre de rencontre, de hasard – qui, bien sûr, n’existe pas – un achat presque compulsif, ma main qui s’est posée sans prévenir sur l’étal d’une librairie. Un petit livre de poche que je pouvais m’offrir pour un prix modique… et le voilà dans mon panier (jour de marché), puis traînant parmi le fouillis de mon bureau : le pavé de nos lectures du soir, des brouillons de haïkus – toujours en brouillons, mes haïkus – et sans doute, quelques factures à ranger, éternellement à ranger…
Ce petit bouquin, je ne sais trop ce qui m’a attiré… Le nom de l’auteur, probablement. Pas la couverture, en tout cas, cette espèce de drap chiffonné évoquant un fantôme noir et blanc… le chat, je ne l’ai aperçu que le livre refermé, myopie oblige. Pas le titre non plus, un peu racoleur avec son assassin « blanc comme neige », oxymore douteux avant l’éclairage de la lecture…
Ah ! Il suffit de l’ouvrir, ce livre et, tout de suite, les mots, les phrases en accroche-l’âme ! Tourner les pages et se délecter de ces instants merveilleux qu’on peut vivre, qu’il faut savoir découvrir comme cet âne dans l’encadrement d’une fenêtre, tel « une icône vivante ». Il m’a inspiré un haïku cet âne.
Voilà pourquoi je l’ai rencontré, le livre de Christian Bobin. Il est fait pour moi, pour m’ancrer dans mes envies d’écriture, de lecture. Tout d’un coup, je me sens moins vaine à griffonner mes haïkus, mes poèmes. Lire ce « livre bref comme une volée de moineaux », m’incite à donner davantage de sens à mes tercets, à les mener vers un fragment de souffle… de Dieu, pourquoi ne pas le nommer.
« Les livres sont des huttes pour les âmes, des mangeoires pour les oiseaux de l’éternel, des points de résistance. Je tends une main de papier à des êtres invisibles. » dit Christian Bobin.
Et aussi : « Un jour nous comprendrons que la poésie n’était pas un genre littéraire mal vieilli, mais une affaire vitale, la dernière chance de respirer dans le bloc du réel. »
Comment pourrais-je ne pas être enchantée par ces propos ? Comment n’aurais-je pas suivi le cheminement des pensées de l’auteur, rebondi avec elles ? Apparemment, les idées s’égrènent, s’enchaînent dans le désordre. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, il y a une logique, sous-jacente, une histoire même qui se construit avec le lecteur, par le lecteur :
« Lire, c’est ajouter au livre, découvrir en s’y penchant, son propre visage dans la fontaine de papier blanc. »
Je pourrai rajouter que dans ce livre-là, on y voit se refléter son âme et celle des êtres et des choses. J’ai donc composé en le lisant une histoire intime, une histoire de vie qui a l’éternité devant soi, qui saute au-delà de la mort à la suite du tigre bondissant peint par Hokusaï… avec peut-être en filigrane la péripétie d’une mort qui rôde dans les couloirs d’une maison de retraite, d’un cabinet médical, cette mort qui n’est pas si terrible au fond.
« Notre mort ne doit pas être une chose si puissante puisqu’elle n’arrête pas le déferlement du printemps… »
Encore une citation. J’aurais envie de tout citer, de tout recopier tant les mots déposés là, m’atteignent, m’imprègnent jusqu’au tréfonds de l’âme. Je pourrais aussi lire et relire ce livre sans me lasser, en faire mon livre de chevet, sûre d’y retrouver à chaque relecture une joie, une élévation non encore perçues.
Je pourrais mais j’ai choisi de le partager avec une amie. Je ne le garderai pas, tel un trésor dévolu à moi seule. Je l’ai lu comme on lit les merveilles de la vie, instants uniques et sans cesse renouvelés…
Et puis, comme dit l’auteur : « Il y aura toujours une pluie pour jouer du clavecin ou un merle pour composer une fugue. »
(Monique MERABET, 1er Février 2013)