DIX-MOTS 13 (3)
Le mot du jour
Nous connaissons la suite
Il vaudrait mieux se dire
Quand on est seul et triste
Un seul être nous aime
Et notre âme est peuplée…
(Anick BAULARD)
Le texte du jour:
Un artiste pas comme les autres.
(Huguette PAYET)
Ne vous attendez pas à le trouver dans son atelier. Il n’en a jamais eu. Aujourd’hui encore, à 72 ans, il travaille à ciel ouvert, entre sa maison et sa salle d’exposition permanente, qu’il a toutes deux bâties de ses propres mains, au fil des années. A son dire, c’est à l’ombre de ce vieux mûrier feuillu dont le tronc lui sert de dossier et où vous le voyez assis à même le sol, qu’il reçoit le mieux l’énergie créatrice et qu’il bénéficie de la plus grande liberté de mouvements, pour sculpter…
Le voilà donc, l’artiste, à cet endroit totalement branché, en symbiose, avec les éléments. Et c’est sur le rythme de son marteau frappant la pierre qu’il est en train de sculpter sous vos yeux, qu’il vous conte, en vis-à-vis, son histoire absolument unique.
Certes, il aurait pu vous dire à la manière de Du Bellay qu’après l’avoir quittée, il était finalement revenu à l’Ilette Furcy « vivre entre ses parents le reste de son âge. » Il avait du en effet s’installer après son mariage à Saint-Denis à la recherche d’un travail pour nourrir sa famille. Mais il vous dira quasiment la même chose dans sa langue maternelle un peu chantante, le créole :
« L’îlette Furcy, pou moi, c’est un lieu magique, ousa mes ansètes et moi-même lé né. Mon nombri lé enterré là ! C’est la qu’mi veux finir ma vie. »
L’artiste vous apprend en riant que son chemin n’a jamais croisé celui de l’école, comme ce fut le cas pour la plupart des plus anciens nés sur les îlettes mais que cela ne l’a pas empêché de sculpter des enfants lisant ou des abécédaires ! C’est sans doute sa revanche sur son destin...
Les habitants sur leur morceau de terre serré entre deux pans de montagnes semblant le protéger, vivaient de ce qu’ils y plantaient, d’un peu d’élevage, de cueillette et de pêche dans la rivière, jadis giboyeuse. Et comme ses rives mettaient à portée de main la matière de ses galets, de père en fils on devenait tailleur de pierres. On en vivait car la demande était importante pour l’architecture de jadis.
Ce fut d’ailleurs là le premier contact de l’artiste avec la pierre. Il devint un aussi bon tailleur de pierres que son oncle, qu’il admirait…Mais la pierre artificielle, à la mode un peu plus tard, fit malheureusement basculer le marché de la pierre de taille. Il lui fallut partir…
A Saint-Denis, la capitale, après sa semaine de magasinier, le campagnard raconte que son coin de terre, sa rivière et ses pierres lui manquaient, même s’il était apprécié par son employeur. C’est alors que l’idée d’essayer de sculpter quelques pierres rondes du bas de la Rivière St -Denis s’imposa un jour à son esprit, comme un dérivatif. Mais ce qu’il n’avait jamais prévu, c’est que les passants s’arrêteraient pour admirer ce qu’il faisait. L’un d’entre eux eut même un coup de foudre pour l’une de ses têtes à peine finie. C’était clair, ce qu’il faisait, plaisait ! Les outils dont il se servait étaient pourtant rudimentaires. Il les avait bricolés lui-même, en plus d’une petite tronçonneuse qui marchait encore et qu’il portait à bout de bras, pour affiner les volumes des pierres.
Et si un jour il pouvait vivre de sa sculpture ?...et s’il arrivait à faire éclore un savoir-faire qu’il possédait ? Ces questions oppressantes ne le quittèrent plus jamais. Une passion fébrile pour son art le dévorerait désormais jour et nuit.
A 35 ans, sans formation, sans même savoir lire, comment s’imposer? Et s’il allait en Métropole pour en apprendre un peu plus ? Une parente vivant là-bas pourrait peut-être l’aider à trouver une formation, à l’orienter dans le labyrinthe parisien, à l’héberger quelque temps peut-être ?.... Ses proches pensaient tout bas qu’il était en train de perdre la tête. Son employeur insistait pour qu’il reste. Il s’obstine, résiste : il partirait !
Le comité d’accueil ne fut pas au rendez-vous parisien. Notre homme aurait pu se faire truander. Mais non, il chercha de l’aide et en trouva. Il fit ses preuves dans un chantier de restauration de monuments patrimoniaux, châteaux et églises, et revint au pays après sept mois travailler aux prochaines expositions qu’il voulait à tout prix organiser, riche de son nouveau savoir.
Il faut dire qu’il ne fut plus seul à ce tournant de sa vie. Toute une équipe de mécènes s’est intéressée à son talent extraordinaire pour le faire connaître dans son île natale mais aussi à l’étranger. Il eut droit à des prix étudiés des compagnies aériennes pour faire voyager les belles dames de pierre et de bois, nées sous ses doigts habiles, afin qu’elles affichent leur beauté sereine dans bien des galeries célèbres du monde…
Pendant que le sculpteur vous contait sa vie, la statue s’est parée de ses derniers atours. L’artiste signe avec son fin burin G. CLAIn. C’est son cachet. Il vous précède maintenant pour passer la clôture de son petit domaine dont les arceaux portent en enfilade des petites pierres longues, en forme de kalous. C’est le bouquet ! Clés en mains il vous propose la visite de son jardin des Colosses, dont chaque pièce pèse des tonnes. C’est juste à côté…
N.B. Comme vous passerez par là, pour aller à Cilaos, n’oubliez pas d’emprunter le petit pont métallique situé sur votre droite, qui mène à l’Ilette Furcy. A la fin du pont, tournez à gauche. Tout le monde au village sait où habite le sculpteur Gilbert Clain et vous indiquera sa maison. Laissez-vous emporter par la magie des lieux et l’originalité de ses créations.…