ENVIE DE LIRE (1)
SAKURA les fleurs de l'éphémère
de
Brigitte LASCOMBE
J’ai refermé le livre ce matin. La dernière page, la dernière phrase ont sonné pour moi un peu comme un « Terminus ! Tout le monde descend »
Tout le monde, oui : Midori et Kizuki, Pauline et Lisa, Mamounette, Pierre et Marc…
Le voyage est terminé. Vous voici arrivés sur les quais du FUTUR…
Pour moi, je me suis sentie enveloppée comme dans un petit nuage de nostalgie à l’issue e cet exaltant voyage sur océan de papier, origami à mille faces qu’on déplie au gré des pages. Je me retrouve moi aussi sur la terre ferme, encore étourdie de m’être laissée bercer par les flots noir et blanc, d’avoir laissé vavanguer mon imagination d’un continent à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un personnage à l’autre ; un voyage qui n’est pas de tout repos d’ailleurs car il se passe toujours quelque chose dans les rues de Tokyo, dans l’univers délirant d’un Mangaland, dans la tête des personnages, aussi. Ça tangue parfois, quand le lecteur doit passer de l’exubérance de Pauline la provençale à l’ordre immuable de la journée du marchand de sushi.
Elle me plaît beaucoup cette forme non linéaire de la narration. Chaque épisode se suffit à lui-même, est une véritable nouvelle avec son dénouement propre. Mais l’histoire est bien présente, bien coordonnée, et se construit de chapitre en chapitre suivant un subtil fil rouge qui nous tient en haleine jusqu’au bout. C’est ainsi que se tisse petit à petit le ruban de soie de cette obi révélatrice des correspondances entre le mondes éparpillés de chacun des héros, finalement cristallisés autour de Midori.
Quelle figure attachante que Midori ! Tout d’abord un peu froide et dissimulant tous les mystères de son âme sous le sourire figé de la geisha. Puis se dévoilant grâce à la chaleur de l’amitié avec la petite Française, laissant chatoyer toutes ses facettes de Japonaise d’aujourd’hui, naviguant avec grâce entre tradition et modernité, entre pragmatisme et superstition.
J’aime bien ces changements de décors répétés à chaque fois que s’annonce la visite de son protecteur : l’appartement est vidé de tous les objets et décorations personnels de Midori pour se recomposer en « galerie » d’art contemporain, un décor glacé et luxueux à l’image de l’homme-qui-a-réussi dont elle est l’épisodique compagne.
Et pour Midori, la minutieuse jardinière ès bonsaïs se déploie tout le romantisme de l’écriture poétique de l’auteur. J’ai lu et relu, les larmes au cœur, l’attendrissante ballade que la geisha chante à son « enfant jadis perdu » (je cite).
Que dire encore de cette femme forte malgré son apparente fragilité, capable de faire face à la pusillanimité de son amant, le père de l’enfant à naître, que dire, sinon qu’elle incarne la pugnacité des femmes responsables de Vie et qui ne se laissent pas déconstruire, emporter dans les tourbillons d’un amour trahi. « Les états d’âme ne sont pas à l’ordre du jour » écrit Brigitte LASCOMBE.
Pas de place donc pour les états d’âme, pour les introspections stériles. Ici, l’amour n’est qu’une péripétie humaine. Il se construit et se défait sans drame. Éphémère comme une fleur de sakura, il ne tourne pas à la tragédie.
J’aime cette façon juste et sobre de décrire nos petits bonheurs ou malheurs de l’existence. Chacun peut se reconnaître dans les personnages de Français moyens, de Japonais moyens. Les sentiments ne sont pas outrés ; ils ne dépassent en rien la commune mesure des joies et peines d’un être humain lambda.
Mais il ne faut pas croire qu’on baigne dans un marivaudage creux, inconsistant. Non ! Les sentiments qu’éprouvent les hommes et les femmes qui évoluent dans le récit n’ont rien de superficiels. Ils sont vrais, graves même souvent. Les problèmes inhérents aux familles d’aujourd’hui ne sont pas gommés comme les difficultés qu’éprouve Mamounette à rompre le cordon ombilical qui la rattache à sa fille, comme l’adolescence tragique du frère de Kizuki…
Les deuils aussi, son bien présents dans les inconscients ; à chacun de les assumer à sa façon, de les intégrer à sa capacité de résilience pour un possible futur.
Tranches d’existence qui s’éparpillent, se rassemblent pour composer un patchwork palpitant d’une vie qui ressemble à nos vies. Mais là n’est pas le seul intérêt du roman. C’est aussi un carnet de voyages et un foisonnement d’images émaille le récit, nous entraînant à la suite des personnages dans leurs constantes pérégrinations. On reconnaît là la générosité coutumière de l’auteure qui tient à nous faire partager les merveilles découvertes au cours de ses propres voyages.
Parfois d’ailleurs, la volonté d’être explicite, de décrire avec exactitude telle ou telle civilisation, de faire participer le lecteur « comme s’il y était », aboutit à une accumulation de détails, à un kaléidoscope bouillonnant qui donne un peu le tournis… Mais jamais jusqu’à perturber une bonne perception des événements et de leur succession.
Pour ma part, ces « imperfections » sont de la même nature que les bulles aléatoires du souffleur de verre et signent l’œuvre d’une marque humaine, artisanale et qui nous la rend ainsi plus attachante.
Il y aurait, il y aura encore tant à dire de ce roman réussi. Mais il faut savoir laisser reposer « l’alambic des mots », laisser décanter… pour que remonte à la surface telle petite perle que l’on n’avait pas décelée à la première lecture.
Bravo Brigitte ! C’est de la belle ouvrage ! Merci de nous avoir mitonné ces pages divertissantes, émouvantes, dépaysantes… parfois décoiffantes.
Monique MERABET (6 Novembre
2009)
(Photo Brigitte LASCOMBE)
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