Faux départ (X)

Publié le par Monique MERABET

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(image Flickr)

PARTIR !

(Christelle PAYET)

 

 

 

Partir. Ils n’ont que ce mot à la bouche. Eux-mêmes ne sont pas partis. Pour faire des études, s’entend. Mais ils se rattrapent sur leurs enfants : « Il faut partir. Cela ne t’apportera rien de rester ici. Regarde tous les jeunes de ton âge, heureux de quitter ce bout de monde isolé où rien ne se passe, rien ne se décide. Ce n’est qu’en faisant des études en Métropole que tu deviendras quelqu’un d’intéressant. » Etc… Etc… Tous ces clichés de petits bourgeois pour qui la réussite n’est certaine que pour ceux qui ont fait un long séjour en-dehors de la Réunion, réservée, elle, à ceux qui n’ont pas d’ambition.

Papa surtout est d’une virulence extrême. Iln’a jamais été foutu d’aller faire des études en France alors qu’à son époque déjà, des jeunes, même de la classe moyenne comme lui, s’expatriaient pour de longues années. Il s’était pourtant renseigné pour faire médecine, uniquement pour le prestige et l’occasion de voir se déshabiller les patientes jeunes et belles. Mais il n’a pas osé partir, mener une vie différente de celle d’ici, cette vie qu’il critique aujourd’hui ; « Je n’ai pas eu d’ambition. Je le regrette. Si tu restes, qu’est-ce que tu vas faire ici ? Tu vas t’encroûter. Tu seras quelqu’un plus qu’ordinaire, un créole de base. »

Qu’il parle pour lui ! Créole de base aux réactions primaires, c’est lui. S’il croit que je lui ressemble !

Je l’ai tellement entendu dire, d’un ton sans réplique, qu’il fallait partir pour être quelqu’un, que je ne lui ai jamais dit que j’avais envie de rester, de faire mes études ici, et de ne pas tarder à entrer dans la vie active. Comme de toute façon il ne nous laisse pas nous exprimer, cela le rendrait encore plus mauvais et plus bête. Comme Tatie Michèle pour qui ceux qui ne voyagent pas sont des ploucs. Alors je me tais.

 

Maman, elle le sait que je n’ai pas envie de partir, que je veux et que je peux faire mon avenir ici. Elle sait que je suis travailleur, que je ne me décourage pas facilement. Elle m’aimera toujours si je reste ici. Mais ce qu’elle ne sait pas c’est que je lui ai emprunté des cachets, ceux qu’elle prend tous les soirs pour bien dormir, et même la journée quand elle a des angoisses. Je n’ai pas l’intention de me suicider, ni même de me rendre malade. Je prendrai juste ce qu’il faut pour ne pas me réveiller à l’heure Jeudi matin pour prendre l’avion.

Mon départ sera peut-être un faux départ, mais ma décision de ne pas partir, de mettre à nu la fatuité et la bêtise de mon père sera une vraie décision.

 

Publié dans Faux départ

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I
<br /> Ouf ! Une seconde on a cru qu'il allait faire une fuite vers l'avant : suicide ? Drogue ?<br /> <br /> <br />
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