Graines, gousses, épis, etc. (11)
(Photo Martine)
LA PETITE GRAINE
(Monique MERABET)
Lena soupira, un peu soulagée. Elle avait rempli une partie de sa mission : révéler à la fillette lovée contre son ventre, les mystères de la procréation.
Ouf ! Cela n’avait pas été facile pour elle d’aborder un sujet aussi épineux. Léna était très pudique sur ces « choses de la vie». Elle était issue d’une famille dont la pudibonderie confinait au ridicule. Dans son enfance, le fait d’évoquer une femme « en voie de famille » relevait d’un tabou qu’aucun enfant ne se serait risqué à enfreindre.
Bien sûr, elle avait fini par savoir comme tout le monde ; la nénène qui s’occupait des enfants de la maisonnée se montrait moins discrète sur le sujet et, d’allusion en allusion, tout le mécanisme de la reproduction animale s’était dévoilé petit à petit. La cuisine « au bois » qui constituait le domaine réservé de la nénène faisait office de gynécée, d’un sérail où s’agglutinaient ses cousines et elle, friandes de confidences au parfum d’interdit. « Si grand-mère entendait ça ! » se disait souvent Léna avec un petit frisson.
Tout compte fait, après toutes ces années, elle finit par se convaincre que ces révélations soi-disant secrètes arrangeaient bien sa grand-mère et sa mère puisqu’elles les dispensaient d’une nécessaire éducation sexuelle, aussi élémentaire soit-elle.
Aujourd’hui, c’était à son tour à elle, Léna, de se livrer aux scabreuses explications et elle savait qu’elle ne pourrait pas s’appuyer sur une tierce personne. La cellule familiale était réduite au couple parental. Quant à sa mère à elle… quel secours espérer de cette Mamie qui rougissait jusqu’aux yeux lorsqu’on croisait deux chiens accolés.
Il ne fallait pas compter sur Hervé non plus. Il s’était défilé…
« Bon sang, Léna ! C’est le rôle d’une femme de parler à sa fille. » Sa fille… Léna songea que si le bébé à venir était un garçon, ce serait à son père de s’y coller. De toute façon, elle ne se voyait pas expliquer à un garçon… Seigneur !
Mais bon ! Là, c’était sa fille et elle se trouvait au pied du mur. Avec son ventre qui s’arrondirait bientôt, il était urgent de fournir quelques éclaircissements.
Et voilà ! Elle s’était jetée à l’eau. Elle avait lu dans un magazine qu’on pouvait commencer par évoquer une petite graine qui pousserait dans son ventre et qui donnerait un bébé. Des informations poétiques, plutôt faciles à débiter.
Depuis qu’à la Maternelle, on lui avait appris à faire germer une graine de haricot, Lison s’était découvert une vocation de jardinière… en pot de yaourt. Dès qu’une graine passait à sa portée, elle la plantait. Elle ramassait les baies, les bogues tombés des arbres du Jardin de l’Etat. Et bien entendu, elle récoltait soigneusement les noyaux et les pépins des fruits du dessert. La petite fille était très fière de sa pépinière ; Léna un peu moins quand il lui fallait épousseter la terre tombée sur la table de la véranda où s’exhibait la forêt miniature.
Mais, il fallait bien le reconnaître, la passion horticole de l’enfant avait bien facilité la leçon.
Et Léna avait ri de bon cœur quand la petite avait demandé : « Maman, avant de sortir de ton ventre, j’avais des feuilles ? »
Cependant, son rire s’était un peu étranglé vers la fin quand elle avait songé à ce qui allait suivre. Une fillette vive comme Lison, ne manquerait pas de demander tôt ou tard comment la petite graine avait pu arriver là au creux de son ventre…
La gêne de Léna croissait de façon exponentielle; elle ne savait pas trop quoi dire. Elle avait échafaudé dans sa tête des tas d’explications plus saugrenues les unes que les autres sans jamais se résoudre à livrer la vérité toute crue.
Pour l’instant, Lison restait silencieuse, blottie dans le giron maternel. Léna n’osait même pas la regarder en face de peur de déclencher la fatale question : celle à laquelle elle ne savait pas répondre, ne pouvait pas répondre.
Elle s’en voulait d’avoir abordé ce sujet à un moment pareil alors qu’elles s trouvaient toutes les deux seules par ce long après-midi de mercredi pluvieux. Aucune échappatoire possible !
Elle attendait anxieusement l’inspiration à venir… du ciel ? Dans son désarroi, elle se dit qu’elle n’avait aucun secours à attendre de là-haut non plus. Qui pourrait-elle bien invoquer ? Sainte Marie, toujours vierge ? Les anges, ces êtres asexués ? Aucune sainte du paradis ne semblait vouée à répondre à ce genre de sollicitation et la plupart des saintes étaient de chastes célibataires, non ? Sans conviction, elle tenta une prière à Sainte Rita, patronne des causes désespérées…
La petite fille se redressa. Le cœur de Léna fit un bond. Une vague douleur lui étreignit les entrailles. Lison allait parler : la question et… sa déconfiture à elle. Il était trop tard pour prendre la fuite vers les toilettes en évoquant une impérieuse nécessité.
Trop tard ! Lison ouvrit la bouche et proféra, rêveuse :
- Maman, j’étais une petite graine dans ton ventre ?
Léna déglutit péniblement :
- Oui, ma chérie.
- Et toi, tu étais aussi une petite graine dans le ventre de Mamie ?
- Oui…
Où voulait-elle donc en venir ?
- Alors, dans mon ventre à moi, il y a aussi une petite graine qui va devenir un bébé et dans le ventre du bébé une autre petite graine…