Il était un jardin...
Cette lettre composée pour accompagner une exposition sur les boîtes aux lettres photographiées par le photographe Didier Lemarchand (voir http://meltingposte.over-blog.com ) est dédiée à mon amie Huguette... en espérant bien sûr que ni elle, ni moi, nos n'ayons à vivre cette situation
(Monique)
Bonjour,
Je suis passée dernièrement devant le Numéro 75 de la rue N… Et parmi l’impressionnant alignement des boîtes aux lettres, j’ai remarqué la vôtre, avec ce petit dessin bucolique de maison et d’arbre. Que de souvenirs alors, ont affleuré mes pensées !
Savez-vous qu’il y a seulement quelques années, j’occupais une petite maison verte au milieu d’un grand jardin, là où s’élève aujourd’hui ce monstrueux bloc de béton dont vous occupez une des cages ?
Un lieu d’habitation, sans doute mais certes pas un lieu de vie. Comment pouvez-vous supporter d’évoluer dans cet espace inerte de béton et de plastique où ne dépasse aucun brin d’herbe, qu’aucun feuillage ne vient égayer de ses danses et de son chant ? Et, au lieu du sentiment de colère qui m’envahit d’ordinaire quand je considère, cet amas sans âme qui a pris la place de mon si joli petit jardin « à la créole », je ressens de la compassion pour vous et pour tous les résidents.
Et j’ai soudain envie de vous faire partager les charmes de cet éden que nous avions amoureusement créé, mon mari et moi :
Ce souriant jardin aux teintes corallines
Epandant au soleil, senteurs à profusion
Et l’ombre azurée des tonnelles de glycine
De la vigne isabelle aux violets profonds
Ah ! Si vous l’aviez connu…
Vous reposant au creux d’onduleuses racines
Vous auriez répété la suave litanie
Ces mots doux dont la créole fantaisie
Se plaît à ennoblir les herbes anodines :
Main du Christ, cœur de Marie,
Queue de mimite, oiseau du paradis,
Sabots de Vénus, pattes de lézard,
Fleurs z’anneaux, foulards,
Bois de lait, goutte de sang,
Pluie d’or, comète, liane d’argent,
Chemise de femme, jupon de ma cousine,
Lanterne chinoise, couronne d’épines.
Tous ces jolis noms qui restent à jamais enfouis au plus profond de mon âme, je vous les offre aujourd’hui comme les émanations cristallines d’un monde disparu.
Qu’ils apportent un peu de poésie et de couleurs pour réenchanter cette rue devenue si grise, si triste, sans un seul arbre sur lequel y faire lianer ses rêves
Je vous souhaite une bonne journée !
(texte écrit par Monique MERABET)