La couverte de coins (bis)

Publié le par Monique MERABET

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LA COUVERTE DE COINS

(Monique MERABET)

 

 

 

Pour l’hiver qui viendra, qui sonne déjà à ma porte, qui sera rigoureux, qui sera long peut-être, je n’aurai pour seul refuge à l’heure des feuilles mortes, que ce jardin d’Arlequin, cette couverte de coins : des carrés de guingois assemblés à l’emporte-pièce par mes doigts maladroits, point d’épine, point de croix, d’un fil grossier et rêche.

Bien au chaud sous mon manteau, je contemplerai chaque reflet de ma vie comme à travers un miroir voilé, derrière les carreaux des souvenirs ternis : la chatoyante soie des fleurs de canne qui dansent dans l’alizé chantant, le satin écarlate d’un flamboyant, le tulle des eaux claires, du pastel des cascades, les broderies légères de la mer en mouvance berçant les rêveries de l’enfance.

Au hasard des trames disparates je grappillerai les petits bonheurs entre parenthèse :l’organdi des robes de fête, la moelleuse finette des soirées-devinettes sous la clarté diaphane de la lampe à pétrole auréolant de suie le plafond.

Je découvrirai un fragment damassé de la nappe des jours de l’an, la solide popeline des travaux journaliers, des traditions, des rites qui enracinent les mythes au plus profond de l’inconscient.

Je retrouverai aussi sans doute, les chiffons découpés aux vieux mouchoirs encore tout imbibés des chagrins, des déroutes ; et tous ces lambeaux arrachés à la misère du monde, couleur de sang qui rouille, couleur de nuit, couleur de cendre ; et la peau de chagrin rétrécissant sans cesse, des heures de tendresse, et le tissu élastique, métastases prolifiques, qui se distend chaque jour d’une nouvelle tombe, d’une nouvelle croix.

La doublure kaki des soirs de lâcheté qu’on a honte de montrer, transparaîtra par endroits sous la fine batiste des pieuses pensées qui s’effilochent, se délitent, ces accrocs persistants faits aux beaux sentiments, qu’on a beau ravauder, qui laissent toujours passer comme à travers le trou d’une poche, le laid, le moche.

Mais avant que ne s’achève mon tapis de mendiante, j’y broderai mes rêves d’un fil d’argent : au point de tige, au point de fleur, j’ensoleillerai les toiles mortes de l’or des chrysanthèmes ; je recouvrirai les pièces fatiguées jusqu’à la corde, de rimes en festons, de poèmes, de chansons.

Je changerai la doublure racornie pour un doux molleton de duvet fleur millet ou cane Manille.

Alors, l’humble couverte de coins se fera oreiller, se fera édredon, se fera piquette* de l’innocence épargnée.

Elle m’enveloppera dans sa nasse comme un enfant qui dort ; elle m’offrira la châsse de ses mille trésors.

 

*piquette: terme créole désignant un petit tapis rectangulaire en coton doublé , les piqûres à la machine pour faire tenir l'ensemble y dessinaient des motifs artistiques. La piquette servait à protéger les vêtements de la personne qui tenait le bébé sur ses genoux, les protège-couches en plastique, n'existant pas à l'époque.

 

Publié dans Poésie de l'instant

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C
<br /> <br /> Ton texte est bien plus moelleux que ces couettes synthétiques qui font suer plus qu'elles ne réchauffe. Et c'est si vrai ce sentiment d'être accompagnée par ces petits bouts de toile qui font<br /> revivre ceux qui sont partis et des épisodes de leurs vies. C'est un peu comme quand on déménage une maison désertée, les souvenirs reviennent par pans entiers. Merci pour ce travail d'orfèvre<br /> qui redonne vie au passé.<br /> <br /> <br /> Claude Guillon-Labetoulle<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Bonjour ensoleillé Monique<br /> <br /> <br /> C'est un joli texte que j'ai eu plaisir à lire.<br /> <br /> <br /> Douce journée<br /> <br /> <br /> Bisous<br /> <br /> <br /> Angeline<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Je viens de retrouver ton texte sur le tapis mendiant avec le même plaisir que la première fois. C'est toute notre belle culture créole qui me monte à la tête quand je lis tes mots. Quelle<br /> chose magnifique que de partager des souvenirs communs qui seront effacés de la mémoire de la génération montante... Je souhaite cependant que ceux qu'ils auront un jour en tête<br /> seront malgré tout beaux, bien que différents. Huguette.<br /> <br /> <br /> Huguette.  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Ce que je sais, Huguette, c'est que nos souvenirs à nous sont tellement riches et précieux... L'important c'est de les écrire, de les dire, de les raconter. Rienk pou fé rir nout kër<br /> <br /> <br /> <br />