La grotte des premiers Français

Publié le par Monique MERABET

3498516740_cf11e0a7c9.jpg                                              (image Flickr)

 

Il n'y a pas longtemps (le 7 Octobre 2010) j'évoquais le classement de la Réunion dans le Patrimoine mondial de l'UNESCO.

Et depuis, cet incendie au Maïdo... Combien d'espèces endémiques disparaîtront à jamais?

 

kan Maïdo i flanm

in gro gazon nout patrimoine

i falang an fïmé

 

Et, le coeur lourd, je pense à tout ce qui a été détruit depuis les premies temps du peuplement de l'île: l'île floralie, celle qu'on nomma England's Forest.

 

En mémoire, voici ce texte qui retrace de façon romancée la première tentative sérieuse de peuplement de l'île encore vierge.

 

LA GROTTE DES PREMIERS FRANÇAIS

 

 

 

 

Il fait soleil ce matin mais aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres…

Voilà la réflexion que se fit Mine, ce 14 octobre 1663, dès son réveil.

La musique avait changé ; elle semblait chargée d’accents plaintifs qui ternissaient son éclat habituel.

Tous les matins, Mine se glissait avec délice dans la symphonie qui se composait tout autour d’elle. Il lui suffisait d’émerger des brumes du sommeil pour que son être tout entier s’imprègne d’harmonieux accords : trilles joyeux des oiseaux, sifflements narquois des lézards, graves psalmodies des tortues, vibratos onduleux des plantes, notes cristallines des ruisselets arpégeant leur course, murmure ténu de l’air que caressait l’archet de la brise…

Elle se trouvait ainsi englobée dans un ramage un peu « jazzy » que ponctuaient les sourds battements minéraux des pierres, qu’orchestrait l’ample mouvement ds vagues de l’océan si proche.

Et lorsque s’y mêlaient les craquements, les grondements frénétiques de la montagne crachant ses flots de lave, le brasillement des fontaines d’étincelles, c’était l’apothéose. La fête était grandiose.

 

Á ce flamboyant kaléidoscope de sons, de couleurs, de parfums, qu’exhalait chaque nid, chaque bosquet, chaque goutte de rosée, Mine avait eu le temps de s’habituer.

Cela faisait cinq ans qu’elle avait atterri sur cette île étrange, bien différente de son environnement originel de la vingt-cinquième galaxie. Elle était partie à bord de sa ionosnef pour une libre balade à la découverte de planètes inconnues.

Alors qu’elle traversait l’hyper-espace, la sphère bleue qui tournoyait gracieusement sur une suave mélodie, l’avait attirée. Elle s’était approchée de la sirène d’azur, un peu trop près sans doute. Son module antigravitationnel avait « buggé » et… ce fut le crash !

L’appareil s’était retrouvé empêtré dans un méli-mélo de feuilles et de branches, une matière d’une consistance inconnue dans son monde à elle. L’aspect éthéré qu’elle présentait alors, s’était coloré de stupéfaction : l’engin, construit pourtant en ténofon, ce matériau d’avant-garde censé s’adapter aux brusques variations sidérales, se liquéfia jusqu’à se dissoudre complètement. Il n’avait pas résisté à l’atmosphère corrosive de la Terre.

Mine elle-même, n’avait dû sa survie qu’à un réflexe salutaire digne du brevet de Secouriste de Première Classe qu’elle avait brillamment obtenu. Elle avait projeté son fluide vital dans une espèce de sphéroïde mobile blanc aux liserés noirs qui passait près d’elle.

La galaxienne s’était très vite intégrée dans ce nouvel écosystème, jusqu’à se sentir en parfaite symbiose avec son environnement. C’est alors qu’elle avait perçu la musique, flux continuel d’ondes apaisantes qui la reliaient désormais aux animaux, aux végétaux, aux minéraux qu’elle avait découvert petit à petit, avec ravissement.

De même il ne lui avait pas fallu longtemps pour arriver à se repérer dans la succession des jours et des nuits qui l’avait quelque peu déroutée au départ. Là-bas, outre-ciel, dans le petit coin d’espace où elle était née et qu’elle ne reverrait probablement jamais, il n’y avait ni jour, ni nuit. La lumière régnait éternellement, prodiguée généreusement par le vingt-cinquième soleil qui bordait son univers.

 

Ce matin, donc, la musique avait changé et Mine regarda autour d’elle avec un sentiment qu’elle n’avait jamais éprouvé auparavant : l’inquiétude.

En apparence pourtant, tout était semblable à ce qu’il était hier. Aussi, mettant entre parenthèses la désagréable impression qui s’insinuait en son être, Mine reprit-elle ses rites quotidiens.

Elle salua gaîment les oiseaux perchés sur les redents de la grotte sèche et claire qui lui servait d’abri.

Elle salua aussi les grappes fleuries des lianes qui dégringolaient du toit en cascades ivoirines et qu’elle écartait doucement comme un rideau de perles fines.

Puis, se dandinant sur les pierres plates qui dessinaient un gué au travers du limpide ruisseau serpentant au seuil de son habitation, elle partit pour rendre visite à Kéma. L’énorme tortue presque tricentenaire, ne se déplaçait plus guère et se contentait de l’abondante nourriture que lui dispensait la verte prairie où elle avait élu domicile. Kéma avait coutume d’accueillir la visiteuse par quelques légères plaisanteries et la conversation badine s’installait pour un long moment.

Au passage, Mine caressa de son bec le blanc plumage d’un de ses congénères de l’espèce Dodo, cet oiseau dont elle avait emprunté l’enveloppe terrestre.

 

Une bien belle journée s’annonçait au sein de ce paradis verdoyant… c’est ce que Mine aurait envisagé si la musique ne s’était ainsi assombrie d’accents de deuil.

Bien sûr, Mine ignorait aussi ce concept de deuil. Pour elle, comme pour tous les êtres qui l’entouraient, la mort prenait naturellement sa place dans le grand concert de la nature. Chaque feuille morte, chaque pétale fané, chaque stase d’un cœur qui s’arrêtait de battre, émettait un petit silence, un soupir qui émaillait la symphonie quotidienne sans en affecter la grâce ni la beauté : prélude à un éternel renouvellement.

 

Mais ce matin, c’était différent. Mine percevait des grincements, des couinements venus du lointain horizon. Ces bruits étranges prenaient de plus en plus de force à mesure que la journée avançait.

Mine essaya d’en avertir ses interlocuteurs habituels, bêtes ou plantes, mais aucun d’eux ne comprit de quoi elle voulait parler. Elle avait d’ailleurs déjà remarqué que chaque espèce n’entendait bien que sa propre musique et n’avait qu’une perception limitée de celle de son entourage. Elle était la seule à pouvoir appréhender pleinement celle des autres.

De plus en plus perturbée par ces discordantes tonalités, Mine prit le sentier menant à une sorte d’esplanade. De là-haut, elle découvrirait un plus large paysage ; elle pourrait embrasser la vaste étendue bleue de la baie. Il était aux alentours de midi et le soleil venait iriser les plumes de son cou et de son dos de reflets multicolores.

Lorsque Mine atteignit le but de son ascension, elle discerna une espèce de bosquet miniature, palmes déployées d’une inhabituelle teinte blanchâtre, qui semblait flotter à la surface de l’eau. L’insolite vision la remplit à la fois d’émerveillement et de crainte : à part quelques baleines qui venaient parfois folâtrer dans la zone et les ailerons des requins rassemblés pour de sanglantes ripailles, la surface de la baie avait toujours présenté l’aspect d’un désert mouvant.

Puis une dizaine de créatures bizarres, d’une espèce inconnue elles aussi, prirent place dans  une sorte de tronc que deux branches mobiles propulsèrent vers le rivage.

Alors Mine fut remplie d’effroi. Encore un sentiment qui ne l’avait jamais frôlé jusque là… et que ses compagnons habituels semblaient ignorer, eux aussi. La végétation respirait  doucement, se balançant mollement dans la tiédeur de l’alizé ; perruches et perroquets jacassaient à qui mieux mieux dans les ramées ; aigrettes, sarcelles et flamants batifolaient tranquillement au milieu des jacinthes d’eau de l’étang ; les tortues se reposaient à même le sable de la plage ; les dodos, eux, vaquaient, solitaires à la recherche de leur nourriture… Une vie paisible que seule Mine sentait menacée.

Elle redescendit en toute hâte pour venir se réfugier chez elle, à l’abri de sa maison, en quête d’une rassurante protection.

La musique n’était plus que cacophonie, suite d’accents brutaux, sauvages… terrifiants.

 

Ce 14 Octobre de l’An de grâce 1663, le Sieur Payen, accompagné d’un autre Français et de sept malgaches, dont trois femmes, débarqua sur l’île Bourbon dans la rade de Saint-Paul. Le petit groupe avait pour mission d’implanter dans l’île vierge la première colonie de peuplement. Á proximité de la côte, les nouveaux robinsons trouvèrent une grotte dont ils firent leur première habitation. On la connaît aujourd’hui sous le nom de « Grotte des premiers Français ».

 

En tant que chef de l’expédition, Louis Payen pénétra le premier sous le renfoncement rocheux et il aperçut le premier aussi l’oiseau dodu dont les ailes trop courtes empêchaient l’envol. Le dodo fit une tentative désespérée pour se sauver à la course mais il était si gras que son arrière-train traînait par terre. L’homme se saisit d’un bâton.

- Les amis, s’écria-t-il gaiement. Voilà qui augure bien de notre installation. La Providence nous offre à la fois le gîte et… le rôti ! 

 

(Monique MERABET)

Publié dans Evènements

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
<br /> <br /> Un bien joli texte sur un éden perdu.<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br /> Bonsoir étoilé Monique<br /> <br /> <br /> Je découvre un très joli texte, j' aime beaucoup, c' est une bien belle histoire.<br /> <br /> <br /> Merci pour tes coms Monique, en ce moment je n' ai pas trop le temps pour mes coms.<br /> <br /> <br /> Douce soirée et bisous angéliques<br /> <br /> <br /> Angeline<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Merci Angéline<br /> <br /> <br /> J'ai essayé de mêler un fait historique du peuplement de la Réunion avec un peu de fantaisie. Mais ce qui est vrai, c'est que la venue des hommes a complètement bouleversé l'équilibre de cet<br /> eden. Et maintenant le feu!<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Bien beau ton texte Monique, j'aime surtout le passage sur la compréhension des autres...mais je suppose qu'il n'est pas volontaire...En tous cas c'est une idée originale qui tranche sur les<br /> sanglots convenus habituellement débités sur ce sujet. Bises.<br /> <br /> <br /> Claude<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre