LAMBREQUINS ET VIEUX BARDEAUX (11)
HÉLOÏSE 1
Vendredi 3 Janvier 2003
Dans le salon d’apparat qui brillait de tous ses lambris vernissés, de toutes les lames de son parquet lustré de cire odorante, le Conseil d’Administration de « Lambrequins et vieux bardeaux » était réuni au grand complet.
Autour de la table ronde marquetée, une des rares pièces du mobilier d’origine à être restée en place, sans doute parce que trop encombrante à déménager, quatre garçons et quatre filles – parité oblige – s’étaient installés.
Les membres fondateurs de la jeune association qu’on venait de baptiser dans les flonflons d’un exceptionnel 20 Décembre, avaient perdu leur gouaille habituelle et siégeaient avec gravité, intimidés par la solennité de leur charge.
Arthur présidait la séance… ce qui allait de soi après tout le mal qu’il s’était donné pour mettre sur pied son chantier de rénovation auquel la quasi-totalité des jeunes des Tallipots avait participé avec beaucoup de détermination.
C’était Arthur qui avait obtenu auprès des assemblées locales les autorisations – et les fonds – nécessaires à la restauration de la villa Chabrier ou plutôt de la Kaz Bougainvil comme on la dénommait plus familièrement.
Et Dieu sait qu’il avait fallu batailler, insister pour faire bouger les pesantes administrations. Certes, il y avait encore du pain sur la planche mais l’ouvrage accompli en deux années à peine était déjà remarquable.
Arthur jeta un coup d’œil circulaire. Il était fier et un peu ému de retrouver autour de lui les ouvriers de la première heure, ceux qui lui avaient fait confiance et s’étaient embarqués sur son canot sans savoir où l’aventure les conduirait.
Les filles faisaient assaut d’élégance, depuis Maryline toujours tirée à quatre épingles (elle visait le titre de Miss Réunion) jusqu’à Vanessa qui avait relevé ses cheveux en un « bouquet » de tresses vermillon, en passant par Ludivine la benjamine, timide malbaraise en sari de circonstance et Malika à l’aise dans ses baskets et son jean « griffé ».
Les garçons, eux aussi, avaient fait l’effort de s’habiller convenablement, même Willie qui avait troqué l’informe bermuda dans lequel il s’avachissait quelle que soit la saison pour un jean pas trop déchiré et un tee-shirt pour une fois propre.
Ils avaient tous le nez dans le dossier qu’Arthur leur avait remis et étudiaient avec beaucoup d’attention les statuts de l’association. Les statuts ! Voilà de quoi officialiser et concrétiser le rêve poursuivi avec acharnement : sortir une vieille case de l’abandon pour en faire un espace vibrant de vie et d’animation.
Lorsque le Président entama la séance par un « Mesdemoiselles, Messieurs les administrateurs » un peu emphatique, personne ne broncha… même si cette formulation compassée pouvait sembler mal adaptée à la bande de joyeux ados qui s’interpellaient d’ordinaire dans un langage haut en couleur de tinoms malicieux.
Ludivine qui avait été promue au rang de secrétaire, leva la main.
- Euh…
Elle ne savait plus très bien comment s’adresser à Arthur, le copain de tous les jours. Fallait-il lui donner du « Président » ? Elle choisit une tournure neutre :
- N’y a-t-il pas une formule consacrée pour commencer ? Quelque chose comme « La séance est ouverte »…
- Merci pour la précision, dit Arthur. Je reprends donc : « La séance est solennellement (il appuya sur le mot) ouverte. Et comme notre secrétaire semble très au courant du protocole, elle nous dira par quel sujet commencer ».
- Un discours du Président je crois, rétorqua Ludivine avec un sourire malicieux.
Arthur fit la grimace.
- Aïe ! Vous n’allez pas me faire une vacherie pareille ! Je ne suis pas du tout doué pour ce genre de truc.