LAMBREQUINS ET VIEUX BARDEAUX (2)

Publié le par Monique MERABET

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ARTHUR 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans la Cité des Tallipots, les dimanches s’ennuyaient ferme au pied des grandes barres grises qui coupaient l’espace de leurs arêtes vives : dimanches interminables sans l’animation des journées-collège où se mijotaient les péripéties toujours renouvelées des mini drames du quotidien ; des dimanches exil loin des attractions d’un centre-ville rendue inaccessible par la mise au repos des bus.

Vanessa et ses copains se retrouvaient la plupart du temps dans la courette coincée entre quatre horizons de béton, le SQUARE, s’il fallait en croire les fallacieuses promesses sur papier glacé des promoteurs.

Ils s’installaient sur les bancs déjà entièrement recouverts de tags, à l’ombre (si on se fiait aux prospectus, toujours) de palmiers nains censés planter le décor fabuleux de la Cité modèle de l’An 2000.

Après avoir fait le plein de jeux vidéo et de téléréalité, ils échouaient là, sans autre motivation que de papoter à l’infini sur la dernière amourette d’Hakim, sur les fringues hyper branchées que dénichait Maryline, sur le régime « béton » qu’avait adopté Malika pour faire fondre ses imaginaires rondeurs.

Ils engageaient des paris acharnés à propos de tout et de rien comme par exemple sur la couleur du chapeau que porterait Madame Martin lorsqu’elle descendrait à quatre heures précises promener son caniche abricot.

Et les commérages sur les habitants de l’immeuble allaient bon train. Il était difficile de mener une existence complètement à l’abri du regard des autres dans ces appartements mal insonorisés ; aussi, les membres du « Club des Tallipots » ne manquaient-ils pas de détails croustillants à enfiler, dimanche après dimanche en un dérisoire chapelet.

Puis la famille d’Arthur – des « relogés » comme la plupart des résidents - &tait arrivée dans la cité. Aux yeux des gamins du quartier, Arthur était un garçon étrange, pour ne pas dire « étranger ». un peu plus âgé qu’eux, il était déjà lycéen et il n’avait fait aucune tentative pour les fréquenter, il se contentait d’un bref et cordial salut lorsqu’il les croisait.

La bande des Tallipots avait inventé une sorte de jeu de rôle baptisé le « la di la fé » d’Arthur. Chaque membre usait de stratagèmes parfois tordus pour glaner des anecdotes sur les faits et gestes du jeune homme ; le dimanche, sous la houlette de Vanessa qui s’entendait à merveille pour broder de fantaisistes scénarios, ils assemblaient toutes les pièces récoltées en un « tapis mendiant » d’histoires rocambolesques où leur héros évoluait dans de cocasses situations… ce qui les amusait énormément.

Ainsi, ils avaient beaucoup daubé sur le « baba papier » d’Arthur, une édition de Proust que le garçon, lecteur assidu, traînait partout avec lui.

Willie en suffoquait :

- C’est pas normal, ça !... s’afficher avec un bouquin ! Moi aussi, ça m’arrive de temps en temps de lire une BD mais je fais ça chez moi, dans l’intimité de ma chambre.

Et quand Hakim avait surpris leur héros planté au milieu d’une rue sans intérêt, en extase devant une vieille bicoque qui tombait en ruine, ils en avaient fait des gorges chaudes toute la soirée. Décidément, il était trop « gogol » cet Arthur !

Du coup, on l’avait fiancé avec toutes les vieilles dames du quartier, y compris la clocharde « Ti-moulin » qui arrêtait les automobilistes en faisant tournoyer son bâton devant leur pare-brise. Ces nouvelles trouvailles avaient redynamisé la trame de leur feuilleton.

Vanessa avait même réussi l’exploit de suivre leur « cobaye » et de lui extorquer son numéro de portable, prétextant un message qu’elle devait recevoir de toute urgence ; son appareil à elle était complètement déchargé et… entre voisins, faut s’entraider, n’est-ce pas ?

Depuis, ils n’arrêtaient pas de bombarder Arthur de messages farfelus prétendument signés des adhérents d’un club du troisième âge du coin.

Pendant ce temps, le sujet de toutes leurs élucubrations vaquait imperturbablement à ses occupations ; il ne semblait même pas s’apercevoir des indiscrètes investigations dont il était l’objet.

Publié dans LIRE

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M
<br /> bon ! me voilà "accrochée" à cette histoire d'ado réunionnais pour lesquels les vacances d'été sont ... au mois de décembre !<br />
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M
<br /> <br /> Quel dépaysement! N'est-ce pas?<br /> <br /> <br /> <br />