LAMBREQUINS ET VIEUX BARDEAUX (4)
Arthur 3
Arthur avait toujours adoré flâner dans le centre historique de Saint-Denis. En dépit du prosaïque quadrillage des rues, il y flottait les fragrances d’un mystérieux passé et cette incursion dans un petit coin de la mémoire de son île, enchantait le garçon.
Ça et là, au milieu des récentes villas de pierre, enfouie dans l’ombre de vénérables manguiers, s’étalait encore la naïve splendeur des blanches maisons coloniales, défiant le temps.
Certaines, héritant du statut envié de « Patrimoine » avaient eu le privilège d’être somptueusement restaurées. Et, à travers les fers forgés d’une grille repeinte, Arthur s’extasiait sur la fraîcheur d’une véranda aux pilastres ouvragés ; il rêvait devant un guétali encore bruissant des conversations – qu’il imaginait légères et pleines de tendresse – des belles dames du temps jadis ; il appréciait en connaisseur l’admirable agencement des pimpants bardeaux émergeant de la frise d’un lambrequin.
Naturellement, ces merveilles, jalousement enfermées, lui étaient interdites et il se sentait un peu frustré, tel un amoureux qu’une belle coquette éconduit après l’avoir laissé soupirer à la vue d’un fragment de dentelle de son jupon.
Aussi Arthur préférait-il les maisons abandonnées, celles qui tombaient en ruine parce que trop onéreuses à rénover. Souvent, ces vestiges qui se tenaient encore bien droits, solidement campés sur leurs madriers de bois de fer et de bois de natte, offraient un refuge aux SDF et souvent aussi, ils finissaient dans de louches incendies qui laissaient place nette à l’avidité de modernes bâtisseurs.
Dès qu’il le pouvait, le fougueux « explorateur » n’hésitait pas à se faufiler au travers de la brèche d’une clôture désaccordée et à pénétrer jusqu’au cœur même de l’illustre demeure.
Là, au milieu de l’assemblage hétéroclite des nombreuses salles qui s’étaient juxtaposées au gré des rajouts successifs, il se livrait au tour du propriétaire ; son œil de décorateur expérimenté réaménageait les lieux qu’il s’appropriait ainsi ; il réparait lambris et planchers dégradés, réajustait des volets disloqués, remodelait un escalier vermoulu… Il pouvait rester des heures à combler la nudité des chambres de tout un assortiment d’un mobilier créole au bois précieux, aux artistiques cannages ; il les habillait de rideaux chamarrés, de vaporeuses moustiquaires… et, jamais il n’oubliait de se réserver le cocon d’un élégant salon qu’il consacrait à la musique, son autre passion.
Á la grande déconvenue d’Arthur, ces pérégrinations ethno-immobilières faillirent tourner court. Pour cause d’expropriation, sa famille dut quitter la modeste case en tôle « sur cour » pour s’expatrier vers un vaste appartement tout confort « sur béton » dans un quartier complètement excentrique.