LAMBREQUINS ET VIEUX BARDEAUX (5)
Arthur 4
Il s’en trouva fort dépité, jusqu’au jour où, s’aventurant dans le dédale uniforme des pâtés d’immeubles, il découvrit, presque entièrement enclavée parmi les habitations, la « Belle au bois dormant » ! Une grande case créole qui ne laissait apercevoir que son toit de bardeaux recouverts de mousse et quelques lambeaux de lambrequins au-dessus d’un inextricable fouillis de bougainvillées.
Il lui fut d’ailleurs impossible d’y pénétrer malgré le vif désir qu’il avait de contempler sa découverte de plus près.
Dans le voisinage, une rapide enquête lui apprit que la maison passait pour être hantée : des « invisibles » en défendaient l’accès. Et la nuit, l’on entendait souvent de lugubres plaintes sourdre de l’ossature même de la demeure. Quant aux imprudents qui se risquaient à enfreindre l’interdit, ils finissaient toujours par basculer dans quelque chausse-trape et abandonnaient… Giflés, grillés, couverts de contusions, ils étaient peu enclins à renouveler une telle expérience.
Arthur ne tint pas compte de ces billevesées superstitieuses et n’eut de cesse de trouver le Sésame qui lui ouvrirait les portes du paradis entr’aperçu.
Parfois il prenait sa guitare, un tambourin ou un kayamb et venait s’asseoir sur une pierre plate affleurant en bordure de la mer végétale et offrait à la belle captive une sérénade nostalgique de sa composition.
Tu es ma Demoiselle,
Ma belle de bois dormant,
L’indolente citadelle
Que je réveillerai de mon chant.
Je me ferai tourterelle,
Paille-en-queue d’argent ;
Vers tes lambrequins de dentelle
Je m’envolerai, cœur battant.
Je me ferai caravelle
Pour voguer sur l’océan
Des corolles qui te cisèlent
Un caparaçon chatoyant.
Oh ! dis-moi gentille Dame,
De ton jupon de bougainvilliers
Sur quel brin de la trame
Me faudra-t-il tirer ?
Pour suivre le fil d’Ariane,
Le sentier secret ;
Le chemin qui mène à ton âme,
Comment pourrai-je le trouver ?
Je viendrai quand tu sommeilles
Dégrafer tes volets clos
Pour t’inonder de soleil
En bouillonnants flots.
La lumière qui ruisselle
Te couvrira de son manteau ;
Ses gouttes, en cascatelles
Ricocheront sur tes bardeaux.
Pour toi je serai ménestrel,
Dévoué chevalier.
Je chanterai la ritournelle
De tes rêves ressuscités.
Mais la belle demeurait insensible au chant de son soupirant.