LAMBREQUINS ET VIEUX BARDEAUX (7)
Mémoires d'une vieille case créole 2
Comme une bête blessée je me suis repliée sur moi-même, sur mon passé. Les champs morcelés, les jardins délaissés sont retournés à la friche. La haie de bougainvillées, cette barrière multicolore qu’on apercevait de loin telle une oriflamme bigarrée, a déferlé librement, enchâssant les troncs, tapissant le sol d’un réseau serré de sarments épineux.
Puis je me suis assoupie dans une béate quiétude. Nul ne troublait mon isolement, si ce n’étaient les légions de tangues, de couleuvres, de lézards et d’insectes qui s’abritaient sous les doublures végétales de mes jupons, ou les colonies de belliers qui avaient accroché aux palmes des cocotiers, leurs nids savamment ouvragés.
Je me croyais à l’abri sous ma couverte impénétrable. Je m’étais faite à l’idée de finir ainsi mon existence, euthanasiée par les envahissants rameaux qui m’étouffaient chaque jour davantage.
Tel ne fut pas mon destin.
Petit à petit, autour de moi, j’ai vu l’espace se rétrécir, se minéraliser.
Á la suite de quelques discrètes villas qui s’étaient respectueusement installées à bonne distance, les tours de béton et de métal m’ont encerclée, telles les pièces d’un échiquier tentaculaire, grignotant année après année, parcelle après parcelle, l’héritage du marquis.
J’ai senti maintes fois mes planchettes se contracter d’effroi en mesurant l’avancée de ces envahisseurs aux noms bucoliques de Corossols, Caramboles, Mangoustans et autres Tallipots, mais qui étalaient sans pudeur leur uniforme banalité à la place des nobles essences de mon royaume d’antan.
Oui ! Oui ! Je sais bien… il faut savoir partager ; tout le monde a le droit d’être logé décemment… et qui plus est, je ne suis qu’une vieille passéiste ronchonneuse comme dit Arthur lorsqu’il peine à me restituer mon lustre d’autrefois.
Au fait, vous ai-je déjà parlé d’Arthur ?