Le martin du dimanche
LE MARTIN DU DIMANCHE
Matin gris, à guetter par où reviendra le soleil. Il me manque, ici. Cinq jours à vivre sans lui, c’est un peu trop.
Les belles-de-nuit me barrent le passage étroit derrière la maison. Par temps sec, je m’en accommode, ravie même de ramener un bout de corolle dans les plis de ma jupe. Mais là, elles sont gorgées d’eau, cinglant mes jambes et mes cuisses, imprégnant mes vêtements de gouttes… si désagréables à ma peau. Ah ! Que ne les ai-je coupées, avant le cyclone !
Le monde est gis en ce début de Février…
La pluie donne voix
à mes larmes-souvenir
deux ans déjà
Deux ans se seront passés sans elle…
Ciel gris du dimanche
sur le câble un gros martin
sans ouvrir le bec
Il est énorme. Je pense à « l’oiseau de malheur » du haïbun écrit hier, celui qui relate ces prévnanse, ces annonces faites aux vivants d’un deuil proche ; seules certaines personnes peuvent les capter, celles qui sont un peu médiums sans doute… La prémonition se répète toujours suivant le même schéma : un oiseau vient se poser, à la nuit tombée, sur le toit et appelle la personne à prévenir trois fois par son nom ; et cet oiseau de mauvais augure… ne peut être qu’un martin ! Sous ce ciel gris, je le sens sombre et maussade, portant bien son surnom (tinon gaté ?) de martin triste. Et quand il ouvre le bec, ce cri rauque, lugubre, croassement venu d’on ne sait quel chagrin sans fond qui fait frémir les âmes ; de là à penser qu’il attire, qu’il fréquente aussi les âmes errantes, les zavan…
Holà ! Me voilà en pleine divagation, en plein délit de distorsion, à la recherche malsaine d’un bouc émissaire. Perversité des penchants humains à vouloir charger un innocent volatile de tous ses bas-fond de peines et de peurs…
Pourquoi, toi, martin ? akoz ton plïme lé in pë tro gri ? Mais le soleil les irise, tes plumes comme le dos « noir » de la pie de l’atelier d’isabel soudain révélé de bleu et de vert.
Pardon, martin du dimanche ! Tu fais partie de ces oiseaux du ciel cités dans l’Evangile et ton père céleste veille sur toi.
Pardon aussi pour ces rires gras d’humains qui se croient intelligents de modifier tes cordes vocales dans le but de te faire répéter sans fin « couillon » ou autres « totosh ton moman »… Pardon pour ces jeux indignes !
Ce matin, un oiseau chante pour moi.
Martin muet
tous deux nous guettons
le soleil
(Monique MERABET, 3 Février 2013)