Le monde de Juliette
LES DERNIÈRES GOUTTES
Je l’ai vue la veille
j’ai dit à demain
elle aurait soixante ans aujourd’hui
Je compte les dernières gouttes de café tombant dans la verseuse : Un, deux, trois, quatre… Chacune d’elle peut être la dernière, l’avant-dernière. Qui saurait le dire ?
Dernière, avant-dernière, n’ont de sens que lorsqu’il n’y a plus de goutte et relèvent d’un comptage fantôme en quelque sorte.
Dans une enveloppe blanche, un recueil : les haïkus de Juliette Clochelune… Juliette disparue en 2011… son recueil paru en 2012.
Elle y avait travaillé avant… jusqu’à son dernier jour. Elle n’avait pas pu terminer. Difficile de rassembler ses haïkus généreusement éparpillés de blogs en listes ou correspondances. Ses amis ont continué la collecte pour aboutir à cet ouvrage .. posthume :
Mon ombre épaisse et lente
Posthume ? Quel vilain mot et qui ne convient pas du tout à ce bouquet d’étoiles laissées par Juliette !
En le lisant, j’ai plutôt l’impression de renouer un dialogue interrompu, de participer des retrouvailles, de refaire quelques pas à ses côtés, sur son sentier de vie… ce sentier qui continue au-delà de nos frontières corporelles, sensorielles.
Ce soir les étoiles
échappées des haïkus
de Juliette
Mon ombre épaisse et lente
(Juliette Schweisguth dite Clochelune
Haïkus publié par Pippa éditions (www.pippa.fr )
Préfaces de Thierry Cazals et Christophe Caulier
Illustrations de Joëlle Ginoux-Duvivier
« J’ai la sensation que notre corps est comme un cosmos de poche, il contient une graine minuscule de tout. » (Juliette)
Juliette, je l’ai rencontrée « virtuellement » au hasard d’une liste haïkiste. Et tout de suite, je me suis trouvée séduite par sa gentillesse, sa générosité et ses haïkus exubérants, jaillissant avec drôlerie…
J’ai mis du temps avant de comprendre combien sa vie ne tenait qu’à un fil.
du fil d’oxygène
qui me relie à la vie
s’envole une mouette
(extrait de « Mon ombre épaisse et lente »)
Bel exemple de la distanciation avec laquelle elle considérait sa maladie. Mais bien sûr, sa vie ne se réduit pas à ses problèmes cardiaques. Dans sa préface, Thierry Cazals écrit :
« Il y a de la gravité dans la voix de Juliette, la lucidité de celle qui a vu cent fois la mort en face, mais aussi de la douceur, de l’insouciance et de l’humour, le pétillement léger de l’enfance… »
Ses haïkus rassemblés ici sont tendres et doux à l’image des coussinets des pattes de chat qui estampillent les pages : les traces de son chat Schubert qui tenait une grande place dans sa vie. J’aime particulièrement les haïkus dans lesquels Juliette parle de son matou et pour n’en citer qu’un :
la queue du chat
trempe dans mon bol de thé
ne le réveillons pas
(extrait de « Mon ombre épaisse et lente »)
Les haïkus de Juliette sont lumineux comme une pluie d’étoiles. Ce soir, en fermant mes volets, il m’a semblé que mon ciel s’était enrichi d’une kyrielle de points lumineux… et j’ai eu la certitude que c’est là-haut qu’elle a choisi d’habiter depuis qu’elle nous a quittés en Juillet 2011.
lumière d’étoile
vie et mort au fond du ciel
un vœu dans ma poche
(extrait de « Mon ombre épaisse et lente »)
Vie et mort qui ne font qu’une réalité. Juliette est toujours présente, là tout près. Il suffit de tourner les pages, de laisser « infuser » une image, une pensée, de se laisser porter par le souffle poétique de Clochelune.
Le tour du monde de Juliette en soixante-quinze haïkus. Soixante-quinze, cela peut sembler bien peu pour cerner une vie. Mais par la grâce du non-dit qui constitue la substance même d’un haïku, la lecture d’un seul tercet nous emmène aux confins d’un imaginaire universel, le sien, le mien.
« Je voudrais laisser des traces sur cette terre qui touchent à mon expérience personnelle avant de rejoindre la mémoire des étoiles… » (propos rapportés par Thiery Cazals dans sa préface)
(Monique MERABET, 11 Mai 2012)