Le paradis des oiseaux
LE PARADIS DES OISEAUX
Ciel du matin
sans nuages – qui me dira
le rose du levant ?
Comment saurai-je d’où vient le soleil ? Le bleu encore indécis du ciel se nuance de rose, de jaune, de vert.
Quel regard saurait capter l’instant où les teintes basculent, se fondent toutes en ce bleu unique, cet azur ferme et définitif ?
Quel haïku saura jamais traduire la mouvance infime d’un instant ? Et pourtant, n’est-ce pas là ce qu’on devrait demander à un haïku parfait, englobant l’avant et l’après ?
Mais je sais que je touche là aux confins de l’indescriptible, de l’in-codifiable… un rêve de poète à jamais inassouvi : dire le mystère ou plutôt faire ressentir l’ineffable mystère sous-jacent à la vie manifestée à nos sens.
Seul le chant des oiseaux peut en rendre compte ! Et peut-être ma voix (si je savais chanter !) et peut-être mon corps (si je savais danser !). Mais les mots… les mots ne sont qu’à peu près, que limites. Ils ne peuvent traduire cette sensation si précise et si fugace à la fois, ce sentiment de tout ce qui échappe à nos sens, à notre si pauvre vocabulaire.
Nous avons sans doute perdu la faculté de nous exprimer par notre corps, par cette communion de tout l’être à la vie universelle.
Et soudain, me revient ce désir – irréaliste ? irréalisable ? – de désert. Ah ! Me sentir grain de sable et ne vouloir rien d’autre ! Ou bien, habiter l’air, être l’un de ces chants d’oiseaux qui sanctifient un matin de dimanche pas encore troublé par les bruits du monde. Je me sens comme en exil, ainsi plaquée au sol par cette pesanteur de la matière.
Les fleurs et les oiseaux (et tous les animaux) n’ont pas été bannis de l’Eden. Ils sont toujours en Eden. Ils ont l’innocence et la joie du paradis que nous croyons perdu par tous, aveuglés que nous sommes par notre égocentrisme insensé. « Quand j’ai bu, je veux que tout le monde soit soûl à la maison ! »
N’est-ce pas ce que tu t’évertues à me dire dans tes trilles, joli moineau ? Comment pourrais-tu regretter ce que nous les humains, nous avons fait de ton paradis ! Tu n’as pris aucune part aux dégradations de notre planète commune. Aucun animal, jamais, n’a Sali une forêt ; aucun poisson, jamais n’a pollué un océan ; aucune fleur, jamais, n’a enlaidi le monde.
Mes haïkus, hélas ! seront eux, à jamais imparfaits, entachés de la « faute originelle » dont sont responsables les hommes. Il faudrait que ce soient les oiseaux qui les écrivent, mes poèmes… Ou alors, les petits élèves de mes ateliers qui me ravissent à chaque fois par leur fraîcheur, eux qui habitent encore le vert paradis de l’enfance.
En voici un florilège : ils ont été écrits par les petits sans aucune modification de ma part
nuages dispersés
le ciel bleu virevoltant
avec le papillon
jour de grand vent
le tec-tec va trop vite
je ne le comprends pas
dans le ciel bleu
l’oiseau chante
pour faire un vœu
mon ombre
me suit partout
même dans la mer
sous le flamboyant
je vois danser le vent
maloya, emporte les gens
(Monique MERABET, 30 Juin 2013)