Le renku des vacances (fin)
LE RENKU DES VACANCES
Surgie d’on ne sait où, une fourmi se promène sur la nouvelle page dès que j’ouvre le cahier du matin. C’est elle qui me donnera le coup d’envoi de l’écriture d’aujourd’hui.
cinq-sept-cinq
un martin funambule
libre sur le fil
Quelle folle entreprise que cette composition renku qui me tient rivée à ses versets. Sont-ils bons ? Sont-ils mauvais ? L’ai-je bien négocié le glissement quotidien du tercet au distique, d’un tanka à un autre ?
Chaque jour me voit revenir sur l’écrit de la veille, gommant ici, comptant et recomptant les pieds, me posant l’éternelle question de savoir si je suis arrivée à insuffler à mon écrit un peu de sens, si je suis parvenue à traduire ce que j’ai ressenti…
Á mesure que j’avance dans ce fourmillement d’interrogations, à force de dénombrer les syllabes – j’ai choisi de mon plein gré de respecter la règle du 5-7-5 – j’ai l’impression d’avoir gommé tout ce qu’il y a de spontané dans mon écriture, dans l’association des versets.
Mais, n’est-ce pas la loi du genre ? Un renku n’est-il pas une composition de versets enchaînés, déduits les uns des autres et donc pas une expression libre ? Oui. Cependant, un vrai renku s’élabore à plusieurs voix et, si j’ai bien compris, il y a un maître de cérémonie qui choisit le verset d’enchaînement parmi ceux proposés par les participants.
Alors que moi, la faiseuse de haïku solitaire, je prétends être à la fois toutes les voix, le meneur de jeu et le lecteur extérieur qui critique et apprécie.
Quant à ce respect de l’arbitraire 5-7-5, il conforte –n’en déplaise aux tenants du « véritable » haïku japonais – l’aspect artificiel de la construction. Et comme cela m’entraîne à polir et repolir sans cesse mes vers, je finis par diluer l’idée première, celle qui avait généré mon haïku. Un peu comme lorsque l’on écrit de la poésie classique… N’est pas Baudelaire qui veut !
Quels déhanchements, enjambements de l’écriture afin de ne pas déborder du cadre strict ! Et l’obsession de dénicher un synonyme – mais les synonymes, ça n’existe pas, n’est-ce pas ? – ayant plus ou moins de syllabes dans le but de métrer conventionnellement une ligne.
Parfois je triche sur ce e qui se dit, qui ne se dit pas, suivant qu’il se trouve à l’intérieur d’un vers ou au bout… Tricherie pour une juste cause : par exemple pour éviter une inversion qui rend presque ridicule l’écrit à force d’affèterie… ou lorsque je veux introduire des mots, des expressions du créole réunionnais, il est nécessaire, pour ne pas sabrer la précision de mon vocabulaire, de faire quelques accrocs à la métrique que je me suis imposée.
Par exemple, à vouloir évoquer les galaberts dont les feuilles ramènent au parfum des libres vagabondages de mon enfance, que puis-je écrire d’autre que : « feuilles de galaberts » en première ligne… même si d’aucuns pourraient y dénombrer six pieds au lieu de cinq.
Et je ne vais pas « cacher ce galabert » et le remplacer par une autre plante à deux syllabes… puisque j’y tiens à ces éléments identitaires qui me permettent d’ancrer ma réalité de réunionnaise dans ce renku, lui apporter un cachet d’authenticité en dépit de sa forme un peu trop guindée.
Quoi qu’il en soit, jeu de mots, jeu de lettres, jeu de sensations, je m’amuse beaucoup à sauter d’un thème à l’autre, hop-là ! telle une chipèk jouant à saute-feuille.
Et puis, maintenant que l’expérience s’est poursuivie jusqu’à son terme – je me suis limitée au renku court, évidemment, celui à trente-six versets – je suis fière d’avoir presque inventé la « ronde-haïku » : Le dernier groupement de verset permet de revenir au premier et, ainsi, on peut commencer la ronde où on veut et tourner dans le sens trigonométrique direct ou indirect… Mince ! Je viens de réaliser un renku trigonométrique… modulo 2Pi.
(Monique MERABET, 3 Août 2013)