Les brèdes
(lastrons de mon jardin)
Brède shoushou, brède sitrouy, lastron, mafane, maniok, méday, patate, morèl, zépinar, krëson, shou, shou d-Chine, pétsaï, payatèr, radi, salade, mourong…
Et que sais-je encore !
L’imagination des créoles du temps longtemps s’est vraiment mise en cent pour faire bouillir les marmites des pauvres. La misère est inventive.
Ainsi, dans chaque case de nos campagnes, pour le repas du soir, se mijotait le traditionnel « bouillon de brèdes » destiné à allonger les restes de grains et de riz du midi, une sorte de soupe qui ne veut pas dire son nom mais qu’agrémentait obligatoirement un bon p’tit goût de piment du rougay tomate. Un délice !
La recette en est très simple. Je la donne ici pour le bouillon de chou… ce légume universel qui nourrit son monde en tout temps, en tous lieux, de Beauvais à Saint-Denis de la Réunion. Ouvrez vos cahiers :
Emincez un oignon. Faites-le revenir dans de l’huile (celle que vous préférez).
Ajoutez le chou préalablement coupé en fines lamelles. Mélangez bien. Rajoutez de l’eau en quantité suffisante pour qu’il en reste à la fin de la cuisson (c’est pas une fricassée que vous faites, c’est un bouillon). C’est tout. Ah ! oui ! Salez suivant convenance.
C’est vite prêt et c’est bon.
Bien sûr, pour les autres végétaux plus exotiques cités incipit (c’est du latin de cuisine), il faut au préalable trier les brèdes, c’est-à-dire les préparer. L’opération est parfois délicate pour les brèdes chouchou ou citrouille par exemple, dont il faut soigneusement enlever les fils. Pas facile !
Dans mon enfance, j’ai souvent vu ma grand-mère, assise dans son pliant, un vane de brèdes sur les genoux. Je brûlais d’envie de l’aider mais, bien entendu, elle n’acceptait pas les apprentis-marmitons qui gâcheraient à coup sûr la nourriture en laissant passer des parties non comestibles, voire un escargot ou une chenille… Pouah !
Fraîcheur du cresson
la fourchette ripe
petit escargot
paké brède dan lo vane
inn ti shoniy koulër do lo
i rod sové
Il n’y a que pour les brèdes mourong qu’elle acceptait la main-d’œuvre non spécialisée car là, c’est un travail long et fastidieux de détacher des myriades de petites feuilles rondes et minces qui collent aux doigts.
Ah ! Tout un art le triage de brèdes !
Il m’a heureusement été transmis en héritage. Aussi, chaque vendredi, de retour du marché, je m’adonne à la préparation de mes verdures potagères. Délicieuse occupation. Les mains machinalement occupées, on a tout loisir de laisser vavanguer ses pensées.
Merveilleux voyage au pays des souvenirs le plus souvent et je renoue avec toute la communauté de femmes de la famille. Je les revois vivre et s’animer, je retrouve leurs voix et leurs rires… car, bien sûr, l’occupation des mains n’empêche pas les bavardages, les racontages…
Aujourd’hui, je me retrouve seule devant ma montagne de tiges à dépouiller de tout ce qui peut être comestible. Mais c’est toujours un moment privilégié. D’être assise, là, à ne rien faire, l’esprit vacant.
On peut se recomposer un monde.
La dernière tige. Il y avait plein de bébés-citrouille aujourd’hui. Ma passoire est bien remplie.
Marché du vendredi -
le vert des brèdes reste
sur mes mains
Mais bien sûr, nous vivons une époque à Très Grande Vitesse et combien de ménagères s’adonnent encore à cette occupation chronophage ? Alors, de plus en plus souvent, je vois apparaître des sachets de brèdes tout préparés. Et ce matin aux Camélias
Le petit oiseau
parcourt les étals
brède chouchou trillés* (*pour triés)
Ah ! Le marché forain n’est pas le haut lieu de l’orthographe… Et comme on y affectionne la vente par tas, j’ai déjà repéré le ta, le tat, le thas, le tâ… Mais attention ! je n’ai jamais dit qu’on y vendait des légumes « lo ta ». Au marché du vendredi, les produits présentés sont de bonne qualité.