Les dix mots (2)
Une rencontre
(Anick BAULARD)
Elle s’était enfin décidée.
Il faut dire que ça commençait à l’escagasser sévère de voir ses copines déserter l’une après l’autre les soirées filles pendant lesquelles, pourtant, on rigolait bien : on racontait beaucoup de bêtises, et on éclusait sec, loin des remue-méninges de la vie professionnelle. Mais voilà qu’elle allait bientôt être la dernière à « résister » : toutes les autres ayant finalement trouvé leur moitié d’orange, elles préféraient désormais, aux réunions plutôt déjantées et exclusivement féminines, les soirées câlines en tête à tête avec l’être aimé !
Alors, elle s’était retrouvée toute seule devant sa télé, à zapper frénétiquement pour passer d’une émission imbécile à un programme indigent, ou bien à attendre un hypothétique appel sur son mobile, ou même, quand le silence devenait par trop insupportable, à s’étourdir, à se remplir la tête de la musique tonitruante dispensée par son baladeur « à donf »… Jour après jour, son sentiment de solitude allait crescendo ; cette vie-là ne pouvait plus durer, ce n’était vraiment pas juste, pourquoi ne pouvait-elle pas être « comme tout le monde » ?
Certes, elle aussi avait fait des rencontres, jadis, mais jamais elle n’avait trouvé l’âme sœur : ce qu’elle attendait d’un compagnon de vie n’était décidément pas la même chose que ce que les hommes espéraient d’elle et elle s’était bientôt lassée de ces petits bonheurs uniquement sensuels et sans lendemain. Un homme, pourtant, bien plus âgé qu’elle, avait un moment partagé sa vie, sorte de mentor qui lui avait fait découvrir le théâtre, les musées… Elle l’avait beaucoup aimé, mais depuis qu’il l’avait quittée pour une autre, elle ne se satisfaisait plus du tout de rencontres trop ordinaires.
Mais comment faire ? Elle se sentait bien trop lasse et bien trop vieille pour draguer dans les cafés ou les boîtes, une vraie galère. Les petites annonces des journaux lui apparaissaient vraiment ringardes. Il restait l’ordinateur. Elle s’en méfiait depuis que quelqu’un de malintentionné y avait introduit un cheval de Troie l’inondant de messages indésirables et même malveillants, mais décidément, elle ne voyait plus d’autre solution que les sites de rencontres d’Internet. Alors, elle avait sauté le pas.
Et la bonne surprise s’était rapidement produite : elle avait rencontré Dominique. Tout de suite s’était liée une relation hors du commun : les conversations quotidiennes ne portaient que sur des sujets culturels. On parlait livres, cinéma, et il était vite apparu qu’on avait les mêmes goûts, les mêmes aspirations. Il avait été décidé qu’on ne s’enverrait pas de photo, il fallait laisser, pour l’instant, la priorité à l’accord des esprits, on verrait bien ensuite. Et les jours avaient passé, les soirées devant le clavier avaient retrouvé des couleurs. Oui, décidément, c’était Dominique qu’il lui fallait, l’être avec lequel elle allait pouvoir tout partager, qui se montrait plein de délicatesse et de sensibilité. Elle était heureuse. La rencontre « en vrai » fut décidée. On se retrouverait devant le musée d’Orsay, Dominique et elle porteraient un pull rouge et auraient un journal à la main, comme dans les romans de gare !
C’était aujourd’hui le grand jour, et son excitation était à son comble. Elle avait un peu peur, cependant, elle s’arrangea donc pour voir sans être vue. Et soudain, elle l’aperçut et un frisson glacé lui parcourut le dos : c’était Dominique, à n’en pas douter, le pull et le journal en attestaient… mais Dominique portait jupe droite et talons aiguilles ! Elle faillit s’enfuir, sous le coup de la surprise, et puis elle se ravisa : après tout… une variante…et pourquoi pas ?
Souriante, elle se dirigea vers Dominique.
