Les gouttes du papayer
LES GOUTTES DU PAPAYER
Rameau effeuillé
du benjoin
lentement, la goutte
Ciel tout gris, côté montagnes. Il a plu ; il pleut encore : la queue de l’ondée. Il nous faut regarder vers l’Est pour découvrir cet oiseau de nuage tout rose du levant qui se cache derrière un piton rocheux de nuages anthracite. Imaginer l’oiseau : son croupion (comme celui d’une autruche) ses pattes longues et graciles (comme celles d’un flamant) et son bec… et son bec… alouette ! alouette !
Trilles de moineaux – chut !
gouttelettes aux feuilles
du papayer
Je contemple longuement les petites sphères d’eau. Ne pas les compter surtout ! Elles me fascinent toujours les gouttes. Quelle énergie, quelle volonté leur faut-il pour se mettre ainsi en billes « solides » de liquide ! Point d’exclamation… je pourrais aussi bien utiliser un point d’interrogation, moi la petite Madame Je-sais-pas.
Tête en bas
la limace a-t-elle-même
sens de l’orientation que moi ?
Ce que je sais, c’est qu’être là à ne rien faire (écriture en pensée libre), est un instant de pur bonheur. Ce matin, j’étais la première à ouvrir les volets parmi les résidents de la ruelle. Et je me disais que ce serait bien de me lever encore plus tôt afin de profiter davantage de ce « y a rien à faire » d’aujourd’hui. Ce « rien à faire » est mon élément de prédilection ; je m’y glisse avec délice. C’est formidable cet état de retraitée qui me permet de retrouver l’insouciance de l’enfance, de renouer avec l’ineffable gratuité de la vie, de l’écriture : sans contrainte castratrice (Ah ! le boulot !) sans projet stressant (Ah ! L’avenir que nous ne connaîtrons pas !).
Vivre le plein-vide de ce présent qui n’existe pas. Et se sentir tellement vivante, libre, reconnaissante de pouvoir échapper au monde « réel » forgé de toutes pièces par nos palinodies humaines et que certains ne quittent jamais.
Profiter des interstices du temps pour se faufiler ailleurs… peut-être vers sa vraie destination. C’est l’archipel des gouttes miraculeusement posées sur une feuille de papayer qui m’inspire ces penses jubilatoires, ce matin. Me rêver comme elles, engendrant ma propre bulle sans me soucier de ce qui transparaît des échancrures de cet océan de nervures et de chlorophylle.
Mais… j’ai tort assurément de me considérer prétentieusement capable d’engendrer, de créer quoi que ce soit. Je ne suis pas thaumaturge. Comme mes sœurs gouttelettes, je me contente de vivre ce pour quoi je suis.
Les belles de nuit
avant de se refermer
lourdes de pluie
(Monique MERABET, 26 Juin 2013)
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