Passage (3)
PASSAGE
(Christian FONTAINE)
Vous savez que j’aime la généalogie et que je suis souvent en train de fourrer mon nez dans les Archives départementales. Un jour je suis tombé sur un texte du décret colonial concernant la Concession de Salazie en date du 8 juillet 1839, signé du gouverneur De HELL. Extraits :
« Les propriétaires seront tenus de se livrer passage pour aller d’une concession à l’autre, soit par des chemins de charrettes, si le besoin l’exige et qu’il soit possible d’en pratiquer, soit par des chemins de piétons…
Les propriétaires seront aussi mutuellement tenus de se livrer passage pour la conduite des eaux d’une concession à l’autre, soit dans des canaux, soit en simples rigoles… »
Que l’on soit à la campagne ou à la ville, nous traçons des chemins, des routes, des avenues, des ruelles, des allées, des couloirs, des corridors, des sentiers et des raccourcis…
Mais l’homme n’est pas un simple animal : n’est-ce pas important en effet d’ouvrir des passages pour bien communiquer entre humains, pour ne pas s’enfermer et enfermer les autres dans des limites et des bornes qui nous piégent comme « bichiques dan’ vouves » ?
Aujourd’hui, cher(e)s ami(e)s nos écrits ne nous font-ils pas passer de la matière à l’esprit, de la glaise à l’imagination pour donner à notre vie un surplus de grandeur et de beauté ? Nos ancêtres en recherchaient-ils de la grandeur et de la beauté après le défrichage des terres et le dur labeur ?
Pour quelle raison Noël HOARAU et Brigitte FONTAINE eurent-ils envie après la naissance de 7 enfants d’appeler le huitième né en 1743 Pierre HOARAU DU PASSAGE ? De quel passage s’agit-il ? Eut-il un problème à naître et à passer du liquide amniotique à l’air de Bourbon ? Faillit-il passer de vie à trépas pour que ses géniteurs voulussent le mettre noir sur blanc sur le registre paroissial qu’il était de passage sur terre? En tout cas ce complément de nom, Pierre ne le transmit pas à ses enfants, il était à lui, rien qu’à lui : c’était sa distinction, sa marque, sa fleur de lys. Ses parents voulurent-ils imiter ces bourgeois de l’Ancien Régime attirés par la Noblesse et par l’obsession du « DE » comme ce Jacob QUESNEL DE BEAUMANOIR arrivé dans l’île en 1776 ou Louis René DE MEDER DE BEAUSIRE, chevalier tout de même, arrivé vers 1784 ou encore cette jolie Rose GIRAUD DE BEAUVALLON qui épouse on ne sait quand un Jean-Baptiste DE NAS DE TOURRIS, lequel était fils de Jean-Baptiste DE NAS, seigneur de TOURRIS.
Je dois vous dire qu’en regardant de près mon arbre généalogique, j’y découvre aussi une dénomination incongrue. Un certain Jacques FONTAINE et Marie Anne PAYET à la naissance de leur deuxième enfant en 1740 le fait inscrire sous le nom de Jacques FONTAINE DU REMPART. Quelle mouche les a piqués ? Qu’ont-ils voulu signaler ainsi ? Un accouchement inopiné au pied du rempart ? Ou bien qu’aucun passage ne pouvait être interdit à cet enfant, pas même un rempart ? Voulait-on exorciser un malheur ou lui assurer un passage vers la bonne société, un laissez-passer en quelque sorte ? Voulait-on mettre en place une stratégie pour aller de l’avant en forçant le passage en faisant du rempart une aide précieuse ?
D’autres familles bourbonnaises utiliseront ces rajouts comme Jacques FONTAINE l’a fait. Prenons la famille GRUCHET, un nom bien connu aujourd’hui. Jean GRUCHET, né à Lisieux dans le Calvados en 1669 débarque à St-Paul vingt ans plus tard. Qui lui a payé son passage ? Peut-être gagne-t-il bien sa vie comme armurier ? Fort de sa majorité, Jean épouse Jeanne… BELLON. 11 enfants plus tard, Jean va enterrer Jeanne pour épouser Jacquette LEVEQUE. Laquelle donne naissance en 1731 à Jacques Emmanuel GRUCHET DES BARRIERES. Encore une liberté qu’on s’accorde au XVIIIe siècle ! Naissent encore quatre enfants mais pas de DES BARRIERES. Cher Jacques Emmanuel, ta vie a-t-elle été une course d’obstacles, une course de haies ? Ce GRUCHET-là doit se distinguer. Est-ce pour cela qu’il va épouser une DES SABLONS, Marie Geneviève LEGER DES SABLONS ? Aujourd’hui sur certaines côtes françaises ne protège-t-on pas les dunes de sable, au sable si fin qu’on l’appelle sablon, par des barrières d’herbes dures et résistantes à l’assaut des vagues envahissantes ? « No pasaran », disent les sablons, petits David contre gros GOLIATH. Ca compte Des BARRIERES !
Ah Mes amis, notre passage sur terre, qu’on soit du rempart ou des sablons, c’est beaucoup de barrières mais… tant qu’il y de la joie !
Christian FONTAINE 8.4.2012