Passage (7)
PROPOS SUR DES PASSAGES (Textes de Marie Andrée FONTAINE) 28.4.12.
Passeig de Gracia
L’un des noms les plus évocateurs pour moi des avenues barcelonaises que nous avons traversées est le « Passeig de Gracia ». Passeig est un mot catalan que j’ai spontanément traduit en « passage ». La traduction est en fait promenade.
Gracia était un petit village de la banlieue barcelonaise et le Passeig de Gracia le chemin qui menait de gracia à Barcelone.
Calèches sans doute et premières voitures ont promené belles dames et galants messieurs dans cette belle avenue au début du siècle : c’est si bon de rester un peu romantique !
Le gué vers la terre pure
L’autre passage qui a retenu mon attention est beaucoup plus sérieux : « Le gué vers la terre pure ». Quelle poésie et que d’espoir dans ce livre de ce japonais bouddhiste !
« Pour aller naître dans la terre pure, bonheur suprême, je n’ai rien d’autre de spécial que la pensée d’y aller naître sans aucun doute en disant namo amda butsu ».
Le livre tibétain des morts décrit avec une grande minutie les étapes intermédiaires entre la mort et la renaissance, le « bardo » de la mort, phase de dissolution de la conscience jusqu'à l’expérience de l’obscurité. Les religions s’évertuent à nous rassurer si nous faisons ce qu’il faut : nous ne sommes que de passage. Le meilleur est après !
Etre rassuré sur l’après est une chose, être apaisé dans l’attente de l’ultime passage en est une autre .Est ce que les « hibakushas » d’Hiroshima ont un instant imaginé les tourments qui allaient précéder leur passage dans l’autre monde (s’il y en a un) et plus quotidiennement tous ceux qui attendent la fin dans de grandes souffrances, rallongées parfois contre leur gré.
Et quand bien même tout irait pour le mieux nous vivons tous la mesattente que Monique a décrit de manière si sensible.
Petit-Jean
Enfin je ne résiste pas à l’envie de vous dire combien j’ai de plaisir à me remémorer des passages entiers de chansons ou d’ouvrages littéraires ou de pièces de théâtre appris au temps de ma jeunesse pas trop folle ;
Je fais en même temps un clin d’œil à ma sœur Huguette qui m’a donné envie de retenir ce passage des « plaideurs » de Racine car je la regardais faire son cinéma dans sa chambrette sur ce texte que voici :
(Petit−Jean, traînant un gros sac de procès.)
Ma foi ! Sur l'avenir bien fou qui se fiera :
Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Un juge, l'an passé, me prit à son service ;
Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisse.
Tous ces Normands voulaient se divertir de nous.
On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups :
Tout Picard que j'étais, j'étais un bon apôtre,
Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros monsieurs me parlaient chapeau bas :
"Monsieur de Petit−Jean", ah ! gros comme le bras !
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi, j'étais un franc portier de comédie :
On avait beau heurter et m'ôter son chapeau,
On n'entrait pas chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point de Suisse, et ma porte était close.
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendais quelque chose ;
Nous comptions quelquefois. On me donnait le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin ;
Mais je n'y perdais rien. Enfin, vaille que vaille,
J'aurais sur le marché fort bien fourni la paille.
C'est dommage : il avait le coeur trop au métier ;
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier,
Et bien souvent tout seul ; si l'on l'eût voulu croire,
Il y serait couché sans manger et sans boire.
Je lui disais parfois : "Monsieur Perrin Dandin,
Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin :
Qui veut voyager loin ménage sa monture ;
Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure".
Il n'en a tenu compte. Il a si bien veillé
Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres
Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré mal gré,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire :
Il disait qu'un plaideur dont l'affaire allait mal
Avait graissé la patte à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près :
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allègre.
Pour moi, je ne dors plus : aussi je deviens maigre,
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.
Mais veille qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi, pour cette nuit il faut que je m'en donne !
Pour dormir dans la rue on n'offense personne :
Dormons.