Pointe au sel
LA POINTE AU SEL
Après le kari poulet
mes doigts lavés à l’eau de mer
- si salée ?
Cette impression étrange hier en pique-niquant au bord de la mer à Saint-Leu. Retrouvailles avec ce littoral de coraux où je n’ai pas mis les pieds depuis plus de trente ans… à en oublier le goût de la mer !
Á en perdre tous mes repères, surtout.
Pays de mon enfance
la route des tamarins
en plein cœur
La route des tamarins : voie incontournable pour retrouver tous ces petits coins fréquentés pendant mon enfance.
Impression très forte d’un hiatus, de l’impossibilité à faire se juxtaposer les petites routes du temps longtemps et cet imbroglio de quatre-voies, ce manège des ronds-points, ces absurdes bretelles… à croire que l’île n’est devenue qu’un nœud de bitume, qu’un bouquet de pistes déployées pour la glorification du Ti Bondië l’oto.
Et cette fracture lorsque l’on croise soudain un p’tit bout de chemin d’antan.
Je l’ai ressentie jusqu’au malaise en découvrant ce qu’est devenue « ma » Pointe au sel, lieu de prédilection de nos parties en bord de mer, du joyeux enchantement de cinq petites filles riant et chantant, bringuebalées dans la caisse du camion. Mes souvenirs aussi de quelques maisons poussiéreuses de pêcheurs derrière leurs haies d’esquines qu’on longeait par des chemins de terre ; pistes cahoteuses où l’on zigzaguait pour éviter les roches affleurant ou les nids de poule. Et les marais salants à l’état d’abandon…
Aujourd’hui, toutes les habitations ont disparu, sans laisser de traces, comme happées par quelque « trou noir » temporel ; l’activité saunière a repris, marquée par les bâtiments banals du musée du sel. Un louable effort de végétalisation a été entrepris… peu convaincant sur ce plateau rocheux à l’herbe éternellement jaunie à la sécheresse de l’Ouest. Quelques filaos pourtant ont atteint une taille normale et c’est eux qui nous mèneront finalement jusqu’au paradis d’autrefois.
« Tu devrais te réjouir de ce retour de la nature » me dit ma nièce pour me consoler de mon désarroi patent.
Je devrais me réjouir, oui, lorsque, parvenue au bord de la falaise, tout l’émerveillement me revient avec une incroyable netteté.
Eblouissement in kou d-zië solèy
ce bleu du bassin lo bèl blë tibasin la
d’il y a trente ans konm dann tan lontan
Malgré les nombreuses voitures parquées un peu plus haut en plein soleil, le bassin est désert. La baignade serait-elle interdite ?
Qu’importe ! Ma mémoire, elle, fonctionne à merveille.
Et je m’empresse de raconter, de transmettre la cantilène venue de mes jeunes années :
Sous un riant soleil, l’eau claire luit sans mystère et lorsque la mer se déverse au bassin de basalte, cristal en averse, les souffleurs fleurissent en gerbes d’opale… superbe !
Un écrin de lave sertit la faune des aquariums, ces mares salines de diamant gris où de noirs poissons amphibies se promènent sur les rochers en toute ambigüité.
L’océan coléreux se rue, en grondant flux dans les goulets crépis de sanglante moire, ces mortelles patinoires où roulent avec furie de lourds galets rubis.
Les cavernes des rives crènelées ont abrité tant de nos baignades et de nos pique-niques enchantés et nos flâneries au bord des flaques truffées de porcelaines saphir. Bel album de mes souvenirs.
(Monique MERABET, 14 octobre 2011)