Savez-vous conter la lune? (3)
Déclarations à la lune.
(Huguette PAYET)
Depuis que tu es entrée dans notre système solaire, tu es, ô lune, un élément indissociable à notre vie.
Certains peuples avant nous t’ont adorée, tout autant qu’ils l’ont fait pour le soleil. Ils avaient compris que votre action en duo était la clé de la vie sur terre. Ils ont organisé des fêtes pour vous dire à tous deux, leur reconnaissance et leurs remerciements. Ils ont fait de vous leurs dieux.
D’autres peuples après eux, avec la découverte de l’écriture, vous ont écrits dans leurs livres, ils vous ont dessinés, contés. Ils ont aussi chanté et dansé en votre honneur. Ils vous ont observés, ont éclairé de leurs théories scientifiques votre fonctionnement et ils ont même construit des engins pour aller vous voir de plus prés.
Et puis un jour, des hommes sont arrivés jusqu’à toi, ô lune. Ils ont alors inventé un nouveau mot pour illustrer leur action phénoménale : ils ont’’ aluni’’ et planté leur drapeau sur ton sol. L’ère de l’exploration de l’espace venait de faire un grand pas. Les moyens pour prospecter l’univers ont pris alors une importance nouvelle. Les conditions de vie étaient-elles possibles ailleurs ? C’était là la grande question…
En compagnie du soleil, inlassablement, tu continues, ô lune, à veiller à la ronde du temps, chaque jour que nous vivons, sans un faux-pas, perpétuant avec perfection le rythme des jours et des nuits, celui des saisons, des températures et des moissons sur notre terre. Oui mais pour combien de temps encore ?
Pendant longtemps, nous autres terriens, avons cru que tout cela serait éternel, même si quelques visionnaires avaient prévu au cours des âges que le grand chambardement viendrait un jour, et même si, les religions dans leur ensemble n’avaient de cesse d’agiter le spectre de la fin du monde, en punition des péchés des hommes…
En fait, le vieillissement naturel de notre terre, accentué par l’inconscience de ses habitants dévastateurs, sans respect de son équilibre, laisse à prévoir une certaine accélération de sa fin et du même coup, celui du système dans lequel elle est... Les nouvelles connaissances scientifiques peuvent en effet prouver que les systèmes planétaires ont eux aussi un début et une fin qui les mène au néant, alors qu’ailleurs dans l’univers se créent d’autres nouveaux systèmes qui un jour rempliront peut-être les conditions nécessaires à la vie. Et dans l’univers, les systèmes, si harmonieux soient-ils, ne sont pas à l’abri du choc de monstrueux météorites qui peuvent également déglinguer leurs mécanismes et les réduire à néant…
Je sais que, comme moi, tu as donc déjà, ô lune, une mort programmée, qui emportera en même temps les planètes de ton système, soleil et terre, même si je sais que ta vie durera plus que la mienne et que celle de quelques autres générations après moi, sans doute…
Mais tu me fais penser à ces vieilles personnes qui sont toutes fripées, grabataires parfois mais que l’on aime toujours pour toutes les connivences qu’on a eues avec elles, pour toutes les joies, pour tous les coups durs qu’on a traversés ensemble.
Quand je te regarde les soirs de pleine lune, je revois ma maison d’enfance, entourée de ses champs de cannes. J’entends de nouveau l’orchestre des crapauds qui m’annonçait que tu étais là ce soir là, quand, après m’être approchée de ma fenêtre je te voyais me sourire avec malice derrière les médailles du pied de bâtons mourougues. J’appelais alors papa par ce que je n’arrivais plus à m’endormir…tellement tu éclairais ma chambre…
A l’école primaire, notre institutrice, Mademoiselle Elise me disait souvent que’’ j’étais dans la lune’’. C’était un peu vrai, je m’échappais de sa classe car elle était trop sévère, je rêvais… mais je ne comprenais pas pourquoi elle disait, ‘’dans la lune’’. Il n’y avait pas de lune en pleine journée, en tout cas… Je pensais que son expression n’était sans doute pas bonne…
Et puis, maman t’observait souvent aussi pour savoir quand il fallait tailler ses rosiers et nous couper les cheveux. L’attirail qui convenait, ciseaux, petit peigne fin et peigne à grosses dents nous attendait dès le lendemain soir à la sortie de l’école, posé avec la serviette nid- d’abeilles sur une chaise empaillée. Pendant qu’elle actionnait les ciseaux, qu’on craignait quand ils frôlaient notre nuque, maman mâchait l’intérieur de ses joues … Ah, maman, maman…
Plus tard, à l’adolescence, je collectionnais les cartes postales marron, où une jolie femme amoureuse était assise à l’extrémité d’un croissant te représentant pour écouter son Prince Charmant lui jouer de la mandoline… Je rêvais alors d’amour moi aussi.
Avant de refermer l’album des bons souvenirs de toi, je pense aussi à notre village de tentes de camping dans le cirque de Mafate, où nos amis et nous passions trois ou quatre jours en pleine nature aux grandes vacnces. Nous mangions à ta lumière avec nos enfants puis nous racontions des histoires…sous la voûte étoilée…
Maintenant encore tu me fascines. Je ne t’ai jamais vue comme une star qui nous nargue depuis ses hauteurs, mais comme une sœur qui nous accompagne sur notre chemin de vie, sereine, alors qu’elle finira, un jour elle aussi…Je t’ai dessinée dernièrement encore, tellement je t’aime.
Et cela s'est concrétisé en un joli bouquinet "Lunes" publié par l'Association Les Adex puis dans deux volumes de cartes postales publiés aux Editions SURYA
(dessin
Huguette PAYET)