Sorcières? (9)
Des sorcières glissèrent sur le plancher vernis des maisonnettes en terre
aux toits de chaume, qui semblent sommeillées au fond de la vallée d'un pays
incognito, aux confins du monde ! Dans les encoignures des pièces
poussiéreuses et vieillottes, beaucoup d'araignées tissèrent leurs toiles
uniformes ! Assises sur un tabouret rouge qui a l'aspect d'un jambé africain,
de grosses fourmis noires jouèrent de l'accordéon et se mirent à chanter :
- " Touillez ! Touillez avec vos grandes cuillers en bois d'oliviers la
potion qui cuit dans la grande marmite en fonte, accrochée dans l'âtre
rougi de hautes flammes dansantes. Demain, tous les animaux et petits
êtres mythiques des forêts dormiront d'un profond
sommeil"
(dessin Huguette PAYET)
- "Excepté nous, les papillons, dont les battements d'ailes sur les géraniums
répercutent tous les échos de leurs imperceptibles mouvements, dans des pays
lointains orientaux ou de neige et de glace, nous n'avons pu dormir"
A l'extérieur des huttes mignonnettes, des insectes aux longues antennes
montèrent et descendirent de petits monticules herbus et dirent à ces braves
femmes laides et enguenillées :
- "Vous verrez, si vous nous attrapez avec vos filets à papillons, pour nous
faire rôtir, ce qui se passera ... La terre se mettra à trembler ; des orages
terrifiants ouvriront les cieux trop tranquilles ; quelques tsunamis dévasteront
vos pauvres gîtes, car, nous sommes tous les dieux réincarnés hindous, et,
notre puissance est plus grande que celle de Jupiter"
- "Hi-ha-hi ! Hi-hi-hi !", rirent toutes les femmes féeriques et hors du temps !
On vit les queues rondes et blanches de lapins apeurés assis à la lisière des
bois aux grands arbres qui remuèrent, semblables à des fleurs de coton dans les
champs du Congo !
Les robes des jeteuses de sort ont des longues traînes ornées d'étoiles scintillantes.
Elles sont rapiécées avec de grands morceaux de tissus multicolores pareils aux
fichus en laine qu'elles portent sur leurs épaules frêles. Dans les prés devant les
maisons, des ânes aux grands yeux doux me regardèrent tendrement !
Mais, une sorcière me salua au passage et me dit :
- "Donnez-moi votre main gauche afin que je vous dise la bonne aventure"
Je lui tendis ma main fébrilement. Et elle décrypta mon destin avec toutes
les forces de ses croyances. Peut-être, ai-je eu tort de ne plas la croire ?
Je lui donnai quelques pièces de monnaie. Elle me remercia chaleureusement en
me faisant des courbettes et en mettant sa main sur son coeur. Tiens, en levant la
tête, je vis une sorcière qui marchait dans les champs. Courbée de fatigues et par
l'âge que je devinai très avancé, elle portait un chapeau noir et pointu et sa jupe
très longue touchait le sol comme celle des tziganes. Que va-t-elle glaner, ici et là,
et cueillir pour mettre dans son panier ? De loin, j'agitai la main pour lui souhaiter
"Bonjour".
Ici, des nuages sont souvent accrochés aux montagnes alpines. Ce n'est pas mon
pays ! Je ne suis pas née là. Tout d'un coup, que vois-je ? Une troupe de sorciers
qui s'avance sur la route en chantant. Ce sont des hommes comiques vêtus de
pantalons de golf. Ils portent des vestes orange. Sur leurs têtes, ils ont mis des
couronnes de lauriers. A leurs pieds, ils traînent de gros sabots en bois. Toutes
les noirceurs de la nuit se sont dissipées pour laisser place aux clartés du jour.
Derrière eux, des petits-enfants marchent en se tenant par la main. Par moments,
ils forment une ronde. La paix du monde les inquiéte, ils sont déjà si sérieux !
Dans leurs yeux, je lus l'appel de la vie à la vie. Leurs parents habitent sur une
autre planète. Leurs petits coeurs sont reliés entre eux par une chaîne en or !
Ils connaissent seulement le mot "Amour". Parfois, ils l'écrivirent dans les cieux
avec une baguette de fée très longue. C'est le mot le plus beau ! Aimez !
- "Sans l'amour, que serait la vie ?" leur demandèrent la troupe de sorciers
attendris par leurs mines aussi fraîches que les roses emperlées de rosée.
- "Il n'y aurait pas de vie sur cette terre", leur répondirent les gamins d'une
seule voix.
J'aime les sorcières pour ce qu'elles m'inspirent et aussi pour toutes ces
histoires amusantes qu'elles ont amenées dans l'imagination humaine depuis
très longtemps. Quand on lit ces contes merveilleux, on sort de ce monde aux
multiples tourments. Ces femmes magiques nous ont propulsés sur une
planète plus belle et plus facile à vivre où la vengeance de toutes les victimes
est assurée !
On n'est revenu à nos commencements quand on croyait ferme que la vie était
un long fleuve bordé de grandes fleurs exotiques aux couleurs exaltées !
Eternels enfantelets de la planète qui savent toujours ironiser la vie ; rire des
méchancetés ; cueillir à pleines brassées les fleurs de l'espoir !
Sorcières sages ou folles, je vous aime !
Vous êtes merveilleuses, seules et à la fois plusieurs ...
Vos pays sont les miens ... Et, sous vos maléfices, vous servez la singulière beauté
de vos farces à tous ceux qui ne croient plus en rien.
Elixirs de vie !
Brouillards du temps !
Renaissance de l'espérance !
Vaisseaux des contes aux capitaines sorciers, chargés de phrases, d'images, de rêves,
ballottés sur mers et océans, où de nombreuses envoûteuses aux odeurs de sainteté, ont
embarqué pour des ailleurs aux horizons toujours plus lointains et rougeoyants d'un grand
soleil permanent ! Le monde entier avec toutes les races et les peuples des cinq continents
vous attend sur des quais grouillants de monde. Car, vous vivez au fond des forêts les plus
sombres, dans des grottes bleues et vertes, sur les étoiles et aussi sur la lune, derrière les vitres
des immeubles, dans les greniers, les caves, et, dans ces masures en bois qui prennent l'eau,
au fond des fleuves, des rivières, sur les nuages, au centre de la terre !
Le fantastique fait partie de la vie et se fond dans la nature riche, mystérieuse, secrète, splendide
qui est répandue partout autour de nous...
(dessin Huguette PAYET)