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FANTÔMES
(Monique MERABET)
Portail vermoulu -
le vert des fougères
à l’assaut des fantômes
Cela faisait bien longtemps que je n’étais pas venue par ici. En général j’évite le quartier. Je fais des détours.
Acheter le pain -
en parcours aléatoire
l’échiquier des rues
Aujourd’hui, je n’ai pas pu y couper. Le cabinet du psy avait déménagé juste en face. Dans un immeuble neuf, tout verre et béton. De l’autre côté la maison en ruine. Personne n’a osé l’acheter depuis plus de vingt ans qu’elle est inhabitée. Des rumeurs ont couru. Elle serait hantée.
Case abandonnée -
l’hibiscus orange
qui songe à l’arroser ?
Oh ! Je ne fais pas d’illusion. Elle n’est qu’en sursis la belle demeure créole. Ils ont cerné tous les terrains vagues de la ville. Et là, ce sera facile de l’abattre d’un souffle la vieille case en bois dont les lambrequins et les bardeaux se racornissent sous les affronts du temps. Tous ces beaux mètres carrés disponibles pour une tour, dix-sept étages étouffant à jamais les voix des fantômes. Á l’abri de leurs strates de murs et de plafonds accumulés, ils dormiront tranquilles. Ils n’entendront pas la petite voix hurler…
Le mur décrépi
dernier sourire d’un graff
avant démolition
Je l’imagine l’artiste…
Graffeur inspiré
en une respiration
trait de peinture noire
L’artiste inconnu a dessiné un personnage énigmatique, une espèce de fantôme souriant, tout en courbes douces. Il me fait penser au petit Casper.
Le fantôme préféré de mon enfance. J’en étais complètement mordue. Dans mon entourage, on flattait ma lubie : c’était pratique pour les cadeaux… La petite mascotte m’accompagnait partout, sur mes cahiers, ma trousse, les draps de mon lit, les rideaux, la gourde du goûter…
Sur la corde à linge
l’arc-en-ciel des tee-shirts
- le même motif
On s’en servait aussi comme d’un croquemitaine à rebours : « Finis ton steak, cela fera plaisir à Casper » ou bien « Range ta chambre. Il ne viendra jamais te rendre visite dans un désordre pareil ».
Chaque soir, avant de m’endormir, j’ouvrais grand les portes du placard, les tiroirs. Des fois que… J’éteignais la veilleuse. Je savais qu’il avait besoin d’obscurité pour venir. Je l’espérais.
Prière du soir -
Petit Jésus n’aie pas peur
du gentil fantôme
Mais je doute que le fantôme qui hante désormais les lambris cariatés de la vieille demeure ait les rondeurs de mon Casper bien-aimé.
Je l’imagine plutôt grand et sec, vêtu de cet horrible pyjama lie-de-vin, les yeux habités d’une inquiétante fièvre, l’air doucereux de celui qui… « Ne crie pas, je ne te ferai pas de mal ». Je le revois tel qu’il est entré dans ma chambre ce soir-là.
Sur le mur d’à côté, Casper le petit fantôme s’effiloche en traînées rouges.
(image Monique)